La boulangerie ouvre à 7h. J’ai juste à traverser la rue. Comme tous les jours Nénette est là, en faction devant son régiment de baguettes juste sorties du four. Tous les clients du quartier l’appellent Nénette. C’est l’employée de Madame Letort, la boulangère, vous savez, celle qui est allergique à la farine. Elle fait l’ouverture et elle a ses habitués, comme moi. Toujours souriante, une connaissance encyclopédique des goûts de ses clients et adorant les blagues, même croustillantes.
Nénette, son vrai nom c’est Inès. Sa famille est arrivée en France début 40, fuyant le Franquisme. Grand-père mineur dans les Asturies et militant communiste. Blessé à Teruel. Puis 4 années d’internement avec femme et enfants dans un camp près de Perpignan avant d’arriver à Rennes.
Nénette a 50 ans cette année. C’est elle qui me l’a dit. Ses cheveux courts sont teints en noir et elle me sourit, comme chaque matin.
Nénette ne connaît pas le confinement. Devant ses baguettes au garde-à-vous, elle est en première ligne contre l’invasion du Corona.
« On va pas fermer la boulangerie quand même. Faut bien que je sois là. Parmi tous les clients, y en a qui ont le virus, je sais bien. Et sur les pièces, le virus doit aussi traîner… Mais faut pas avoir peur… J’ai pas peur. Y aura du pain tous les jours et pour tout le monde. »
Et Inès ajoute, ses yeux dans les miens : No pasaran* !
* No pasaran ! ( Ils ne passeront pas ! ). Célèbre slogan politique prononcé par Dolorès Ibarruri ( 1895-1989 ) plus connue sous le nom de la Pasionaria pendant la guerre civile espagnole ( 1936-1939 )