Vador, c’est le chien de la maison. Croisement raté de Labrador et de Bas rouge. Mais si attachant. Neuf heures de matin, confinement ou pas, c’est son heure. Il gratte à la porte de la chambre. C’est Suzie qui officie aujourd’hui. Elle a exactement 15 mn pour sortir du sac à viande et enfiler ses vêtements spécial outdoor. Comme le dispositif anti-virus est le même chaque jour, Suzie ne se pose pas de questions dans le noir. Son mari s’en pose encore moins. Mais Vador, lui, sait qu’il va y avoir droit. Une magnifique collerette en plastique de la marque Carcan, la bien nommée. Vador ne se gratte pas, non. Mais Susie, qui est une fine observatrice, a remarqué que l’objet écartait les joggers, race sportive qu’elle déteste par dessus tout.
La porte est refermée à clé. La promenade sanitaire peut commencer. Cinq minutes aller, cinq minutes retour. Tous les poteaux, plots, rebords de trottoirs intéressants, porte d’entrée et même petits buissons vont avoir droit à leur petite visite : 25 à l’aller côté pair, 32 au retour, côté impair. Mais le moment de grâce tant attendu est l’arrivée devant le parc des poules. Fermé, comme tous les autres parcs de la ville pour cause de confinement. Qu’à cela ne tienne ! Vador a senti les poules derrière le portail en ferraille et il aboie trois fois, seule et unique concession de la journée à ce réflexe de la gent canine. Puis, tout de suite après, c’est la position semi-assise, en équilibre instable sur le trottoir en pente. Les yeux mi-clos, la lippe humide et frémissante, on est en droit de penser que Vador connaît alors un moment bref mais intense d’extase. Suzie évalue l’oeuvre de l’artiste et la fait disparaître prestement dans un petit sac. Le retour vers la maison se passe comme Suzie les aime. Aucune rencontre dangereuse, sauf l’ancien coiffeur atteint d’une toux chronique de fumeur, rien à voir bien sûr avec le Coronavirus !
Vador, qui a ses problèmes de prostate, pourrait embrayer sur un deuxième parcours, voire un troisième, mais il devra attendre demain. Demain, c’est le mari de Suzie qui sera de service et Vador l’espère, on ira peut-être jusqu’à la maison de Mina, qui a ses chaleurs…