Courtepointe : c’est par ce titre aux résonances plurielles que Philippe Decouflé et la compagnie DCA présentent leur nouvelle création au Théâtre National de Bretagne de Rennes, du 27 septembre au 8 octobre 2016. Court, pointu, pointilleux, contrapuntique : les expressions se multiplient pour qualifier ce spectacle de danse. La courtepointe désigne pourtant, en couture, une couverture doublée. Entre dualité, donc, et confort, Philippe Decouflé a offert au public du TNB un spectacle d’une agréable sensualité.
Courtepointe ouvre la saison 2016-2017 du TNB, institution au sein de laquelle Philippe Decouflé, chorégraphe, est artiste associé depuis 2010. À 54 ans, Decouflé a acquis une grande notoriété dans le paysage de la danse contemporaine.
Le danseur et chorégraphe a connu le succès notamment grâce à de grandes mises en scène d’événements sportifs et culturels, comme les Jeux olympiques d’Albertville en 1992 ou du défilé en honneur du bicentenaire de la Révolution française. La ville de Rennes et le TNB ne lui sont pas étrangers : « Depuis que je suis artiste associé à cet établissement, c’est ma sixième création ici. Cette fidélité à un projet, un théâtre, une ville est, pour la compagnie, exceptionnelle », écrit Decouflé. On lui doit aussi, dans la capitale bretonne, des mises en scène originales, comme Swimming Poules et Flying Coqs, en 2011, à la piscine Saint-Georges.
Courtepointe a de quoi court-circuiter l’esprit du spectateur. La création se présente en deux actes séparés par un entracte. Durant près de deux heures, de brèves scènes, élaborées comme des tableaux, se succèdent. Decouflé les appelle des « events », « une série de pièces courtes, des expériences spectaculaires ». Chaque pièce, en effet, créée l’événement : c’est avec un réjouissance renouvelée que le spectateur accueille une nouvelle vision après l’autre. A ce propos, il est util de rappeler que Philippe Decouflé a réalisé de nombreux clips, notamment pour le groupe New Order. Et, en 1993, il se rend célèbre pour son court-métrage, Le P’tit Bal perdu, sur la chanson éponyme de Bourvil (diffusé au Ciné TNB vendredi 30 septembre 2016, en compagnie de Philippe Decouflé). La forme fragmentaire du clip, comme chez le cinéaste Michel Gondry, altère de manière significative l’art et la manière dont Decouflé créée ces spectacles de danse : Courtepointe en fournit une nouvelle illustration.
Chercher un sens au spectacle semble difficile. Le trouver, d’autant plus. Le dénominateur commun à toutes les scènes reste, évidemment, la danse : question de corps et de mouvement. Tout se déroule comme si Courtepointe ne visait rien d’autre que le plaisir du spectateur et, corrélativement, le spectacle du plaisir. Une communion s’esquisse entre le public et les artistes. Decouflé ne change pas son style : il œuvre à produire un spectacle total et mélange, façon court-bouillon, la danse au cirque, à la musique, à la vidéo, au mime. Sur les sept artistes présents sur la scène, trois viennent d’ailleurs du cirque, quatre de la danse. Deux musiciens accompagnaient, comme dans un ciné-concert, les acteurs.
Néanmoins, les réflexions affleurent au fil du spectacle. Réflexion au double sens du terme : réflexion du corps, par le corps et pour le corps, et réflexion à son propos. Decouflé multiplie les effets de miroirs : ombres chinoises, décélération et décalage de la vidéo, gémellité du corps… Le corps se découvre, ôte et revêt tour à tour sa courtepointe, rencontre l’autre. Courtepointe met en scène le désir, le mouvement fatalement déceptif d’un corps vers un autre, comme dans la scène liminaire du spectacle. Le deuxième acte, à ce titre, propose une scène d’une onirique splendeur : une danseuse accrochée à un treuil, virevoltant dans les airs de la scène au-dessus d’un homme pris, quant à lui, dans la contrainte du sol. La gravité s’interrompt, un moment. Mais toujours l’humour, ou plutôt l’esprit, ressurgit. Decouflé a l’art du contrepoint : il fait alterner la sensualité grave du désir au burlesque des contorsionnistes et des situations circassiennes.
La musique en live occupe dans le spectacle une importance de premier ordre. Souvent, les corps produisent des sons et génèrent de la musique, laquelle les entraînent dans le même temps dans la danse. On se demande alors qui vient en premier : du corps, de la musique, de la danse. En fait, les trois fonctionnent, pour ainsi dire, ensemble, corps à corps. Le bonheur d’une réflexion, cependant, ne tarit jamais le plaisir de la vision. Le travail des costumes et du décor créé à chaque scène une ambiance particulière. Le spectateur navigue entre les siècles, passe de Britney Spears à la Commedia dell’arte. À des « events » plus longs succèdent de courtes scènes, pensées comme des apparitions mystérieuses.
Si elle apparaît totale, l’œuvre demeure surtout ambitieuse. Courtepointe entrecroise temps et récits, sans autre limitation que le pur plaisir et la recherche. Plus qu’une chorégraphie, Decouflé proposerait presque une cosmographie de la danse, un découpage du mouvement jusqu’à ses origines les plus lointaines. L’acte second présente ainsi une scène à l’atmosphère préhistorique : les danseurs rampent, se déhanchent, se lèvent sur leurs pattes. Un écran décompose leur mouvement : on voit, non l’homme se mettre à marcher, mais l’humanité dans son ensemble qui apprend la geste de la danse. La scène suivante pousse plus loin dans cette genèse du mouvement : les impulsions des danseurs, sur l’écran, sont retransmises de manière microscopique. Comme si l’être unicellulaire dansait déjà. Un Decouflé, en un mot comme en cent, décoiffant…
Courtepointe de Philippe Decouflé et la compagnie DCA au Théâtre National de Bretagne, du 27 septembre au 8 octobre 2016
avec Flavien Bernezet, Meritxell Checa Esteban, Raphaël Cruz, Julien Ferranti, Pierre Le Bourgeois, Suzanne Soler, Violette Wanty (distribution en cours)
production déléguée Compagnie DCA /Philippe Decouflé
coproduction Théâtre National de Bretagne/Rennes