Au premier jour de décembre 2023, la plume de l’écrivain et traducteur Albert Bensoussan s’est laissé aller à raconter ses souvenirs d’enfance autour d’un des symboles de Noël. Découvrez la crèche de Noël et son histoire dans les yeux d’Albert Bensoussan…
Ce 1er décembre. Le son même du mot décembre et la couleur du ciel ont la teinte des azurs et des soleils dorés de l’enfance. Décembre, dans ma maison, signifiait qu’on ressortait les boîtes de la crèche et que l’on commençait à penser à la disposition du pesebre (crèche de Noël) et aux nouveautés qu’il y aurait cette année. Il faut reconnaître que les premiers pas n’étaient guère écologiques, car nous allions dans les bois couper un pin en pleine croissance et, pire encore, rafler de grandes quantités de mousse humide et fraîche.
Mon enfance a pris fin voilà plus d’un demi-siècle et, depuis que j’ai quitté la maison, je crois n’avoir jamais plus décoré de sapin. L’arbre avec ses boules de fausses pommes me semble laid. La neige sous les tropiques me semble ridicule. Pourtant, la crèche n’a jamais cessé de me sembler jolie. Cette année, aujourd’hui même, 1er décembre, est-ce parce que la vieillesse pousse à ce retour à l’enfance ? J’ai décidé, un rien honteux, de m’acheter une petite crèche pour l’installer dans mon salon. Elle est petite, presque invisible, avec seulement six figurines ; Marie et Saint Joseph, l’enfant, les trois rois mages, Melchior, Gaspard et Balthazar, ainsi que les deux animaux canoniques, l’âne et le bœuf.
J’ai cherché dans les Évangiles et je n’ai vu ni ânes ni bœufs nulle part. Ces mammifères ont été introduits, semble-t-il, par Saint François d’Assise qui avait l’obsession des animaux et disait s’appuyer sur les Évangiles apocryphes pour les inclure dans sa Nativité. La crèche me plaît, sans doute, parce qu’alors que les trois grandes religions monothéistes défendent formellement l’adoration de figures, que ce soit les idoles animales ou les représentations humaines, dans la crèche on peut adorer un enfant et ceux qui le protègent. Un vieux désormais infécond qui croit que sa jeune femme a été mise enceinte par le Saint Esprit. Une vierge mère. Trois mages avec des cadeaux, un Noir parmi eux. Et deux animaux au souffle chaud pour réchauffer l’enfant. La crèche de Noël a un vieux charme polythéiste. Et moi, qui ne crois pas en Dieu ni dans des dieux, avec la crèche de Noël au moins je peux me déclarer non croyant pratiquant. Un culte, enfin, à ce qui naît, à un enfant, et non à ce qui meurt, un jeune homme crucifié.
Écrivain de Medellín, en Colombie, Héctor Abad, grand romancier qui nous a donné, entre autres, ces deux émouvants récits, L’Oubli que nous serons (Gallimard, 2010) et La Secrète (Gallimard, 2016 ), trouvera dans son sabot de Noël — s’il est sage comme une image — un Bon pour parution au 1er semestre 2024 de son dernier roman : Sauf mon cœur, tout va bien, publié à Rennes aux éditions de La Part Commune.
À lire également : “Héctor Abad et les raisons du cœur” d’Albert Bensoussan pour La République des livres (29 septembre 2022).
À lire sur Unidivers :