Dailymotion Yahoo, Mirage et réalités d’un rachat raté

Le leader français de la vidéo en ligne, Dailymotion, n’a donc pas été racheté à Orange par l’américain Yahoo. Catastrophe pour les uns, bénédiction pour les autres. Et si une union Dailymotion Yahoo n’était pas si simple…

Dailymotion est une de ces success-stories du Net à la française, comme Caramail (aujourd’hui disparu après son rachat par l’américain Lycos) ou Deezer (bien que la société n’ait pas démontré la viabilité de son modèle économique). Créée par deux Français en 2005 – soit la même année que YouTube, – la société obtient une participation de l’État avant que Orange ne devienne majoritaire en 2012… Avant de subitement, quelques mois plus tard, proposer la revende de ses parts en vente à Yahoo – dans tous les cas, une bonne opération financière. Contrairement à YouTube (racheté par Google) qui dispose d’énormes datacenters (centre où sont stockés les données et fichiers), Dailymotion n’a jamais réussi à bénéficier d’un tel soutien logistique par Orange afin de soutenir sa propagation mondiale.

Un internet sans frontière

En pratique, Dailymotion possède des éléments à Paris, mais aussi Francfort, Amsterdam ou Londres. Ce développement exclusivement européen pèse sur l’offre et la qualité fournies au regard d’un Internet de facto mondial (et dont le pôle se déplacer vers l’Asie). Dans ce contexte, Google dispose de ses centres historiques aux États-Unis et de centres en Europe. Son développement en Asie est très faible, le site étant inaccessible en Chine. Dailymotion ne fait guère mieux et Yahoo non plus.

Le marché chinois de la vidéo en ligne est trusté par des sites chinois tout aussi efficaces comme Youku et son pendant Tudou ; un marché quasi impénétrable aux Occidentaux. Le site japonais de partage de vidéos Nico Nico Donga est, avec son seul marché intérieur,  presque aussi important que la firme française. Yahoo dispose d’autres produits de stockage de médias en ligne comme Yahoo video et Flickr. Flickr qui dispose de la vidéo en plus des photos, mais Yahoo n’a jamais su valoriser cette acquisition.

Yahoo, encore un acteur majeur ?

De fait, la poule aux œufs d’or Yahoo n’est pas si brillante. Depuis 2010, les restructurations et licenciements se succèdent au même rythme que les dirigeants. L’ancien géant de la recherche n’est plus qu’un intervenant de seconde zone qui ne dispose que d’une aura résiduelle aux États-Unis. Pour se relancer, il entend récupérer des marques fortes sur les marchés où il est faible, comme l’Europe. C’est dans cette optique que Yahoo envisageait un rachat de Dailymotion.

Qui plus est, la vidéo en ligne est aussi un enjeu majeur dans le pay per view, encore peu développé dans l’Hexagone ; là encore, Yahoo est à la traine face à Netflix qui arrive tout juste en Europe et aux géants Apple, Google et Amazon. D’autres sociétés du secteur de l’hébergement vidéo ont fermé leurs portes depuis 2011 et subissent la concurrence des réseaux sociaux. C’est pourquoi Google a unifié son réseau social Google+ avec son hébergement photo.

Et l’emploi ?

La défense d’Arnaud Montebourg sur le sujet de l’emploi apparaît mal étayé mais pourtant crédible au regard de ces éléments. Dans l’industrie du Net, il est habituel d’acheter des sociétés pour leur nom et leurs brevets plus que pour leurs autres actifs (d’où des restructurations meurtrières en matière d’emploi). HP a ainsi racheté Palm avant de revendre une coquille vide. Google a racheté Motorola, mais peine à donner un avenir à cette société alors que les brevets lui sont d’un grand secours dans la guerre du smartphone.

La colère de Stéphane Richard, le PDG d’Orange est compréhensible du fait de la bonne opération financière qu’il comptait réaliser au passage. Mais le véritable problème tient dans le peu d’envergure des datacenters français. Pour parer à cette réalité et dans un but général d’optimisation, la vidéo en ligne, pour ne pas être coûteuse, doit se situer près de ses marchés privilégiés. C’est l’objet du débat Free/Google. Un tel développement aurait donc pu peser sur l’opérateur Orange.

Dans le cas de Dailymotion, cette société reste en phase géographiquement avec son marché privilégié. Avec un développement hors Europe, il est nécessaire de bâtir un partenariat avec un acteur de la zone visée. Yahoo est-il suffisamment porteur pour que Dailymotion pénètre le continent américain ? Sans doute pas. L’arrivée de Yahoo avec ses datacenters outre-atlantiques peut-elle favoriser la pénétration par Dailymotion de marché polycontinentaux ? Sans doute pas.

Aussi, à part constituer une aubaine pour Orange – se désengager de Dailymotion sans pertes – il ne semble pas que cette opération de rachat soit judicieuse. Tout n’est pas perdu pour autant : Dailymotion pourrait utilement établir des partenariats dans d’autres zones eurasiennes comme la Russie (tenue par Rutube), voire l’Inde.

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