En dévoilant les débuts de la vie d’adulte de Lucky Luke, Appollo et Brüno rendent ici un bel hommage au héros mythique de l’Ouest et à son créateur Morris.
« Cela ne nous rajeunit pas mon brave monsieur » : il en est ainsi des souvenirs lointains qui se rappellent parfois à la mémoire. Dakota 1880 par exemple, cela ne vous dit rien ? Mais si bien sûr ! L’année d’abord : 1880. La plupart d’entre nous n’étions pas nés, mais quand même ce n’est pas si vieux, ce sont juste les années de la conquête de l’Ouest. Et « Dakota » ? Mais si bien sûr ! C’est un état des États Unis. Et là brusquement l’éclair surgit dans votre cerveau en ébullition, derrière la poussière soulevée par un troupeau de bisons. « Dakota 1880 » comme une réminiscence de « Arizona 1880 », ce vieil album BD paru en 1946, signé Morris, jeune dessinateur à ses débuts, qui racontait la première aventure d’un cow-boy tirant plus vite que son ombre et répondant au nom de Lucky Luke. Vous pouvez aller au saloon, déguster, avec modération, un whisky, et fêter votre inépuisable mémoire : Lucky Luke est de retour mais la couverture de Dakota 1880 nous apporte un nouvel indice. Notre héros préféré a pris un petit coup de jeune, un je ne sais quoi d’adolescent. A l’horizon, pas de Dalton, de Rantanplan, ni de Jolly Jumper, ce cheval le plus rapide de l’Ouest. Lucky Luke, on le découvre dès les premières pages, n’est encore qu’un shotgun, un agent de sécurité de diligence dirait on maintenant.

Vous l’avez compris, Dakota 1880 est un album d’avant, d’avant Morris, d’avant Goscinny. Comme Emile Bravo qui nous a raconté le Spirou d’avant Rob-Vel, Appollo au scénario et Brüno, décident de nous dévoiler le passé de Lucky Luke, celui qui tire déjà très vite mais qui se cherche: un métier d’abord, un lieu de vie ensuite et si on osait, mais on ose, une philosophie de vie. Pourtant à travers sept courts récits, comme dans Sept histoires de Lucky Luke paru en 1974 (franchement la mémoire est un merveilleux outil), outre sa silhouette caractéristique, le futur chasseur de primes possède déjà ses traits de caractère qui inquièteront les bandits. Il va défendre les veuves et les orphelins, protéger les minorités indiennes et manifester déjà une certaine nonchalance qui va le placer en position de pendu, sauvé par une femme aux pouvoirs magiques.
Sept récits, comme les sept péchés capitaux, indépendants mais aussi interactifs qui tracent un bel hommage à notre cow-boy solitaire bien dans les bottes de notre époque puisqu’apparaissent des femmes fortes, loin des entraîneuses de saloon. On découvre ainsi Lucy, incendiant le ranch de son tortionnaire, Miss Oakley une gamine tirant presque aussi bien que notre héros ou encore Grandma, une femme noire affranchie à la volonté farouche. A l’image de notre époque, l’humour et l’ironie apparaissent au second plan, laissant la place principale à une forme de noirceur et de pessimisme. La nostalgie est même de mise avec l’annonce de l’arrivée du chemin de fer, symbole de modernité, et de la fin de la conquête de l’Ouest.

Les hommages aux héros mythiques de la Bd passent toujours au filtre du dessin. Didier Conrad a pour mission de coller au plus près aux traits de Uderzo pour Astérix. Brüno apporte ici sa touche personnelle et son trait caractéristique parfois proche de Cosey. À l’image de la ligne claire il épure les traits et les aplats de couleurs pour donner plus d’importance aux personnages et à l’action. Les cadrages rappellent les cadrages cinématographiques des westerns y compris des plus violents comme ceux de Tarantino. C’est beau et efficace, comme un pas de côté bienvenu, respectueux mais sans plagiat.
Les clins d’oeil à la série mythique sont nombreux et les passionnés pourront s’amuser à les recenser dans les dialogues (« Encore des patates et du lard, j’en peux plus ») ou les dessins. Jusqu’au bout, nous allons de révélation en révélation, découvrant enfin les paroles de « Lonesome cow-boy ». Une postface d’un certain Gustav Frankenbaum nous offrirait même en guise de scoop, des pistes sur un certain Lucky Luke qui aurait réellement existé et que Morris et Goscinny n’auraient fait que plagier. Mais ce Frankenbaum n’aurait il pas eu affaire à ces auteurs dans Les collines noires et ne règlerait il pas ici ses comptes ? Allez savoir.

Dakota 1880 de Appollo (scénario) et Brüno (dessin) un hommage à Lucky Luke d’après Morris. Éditions Dargaud. 64 pages.16€. Parution le 31 octobre 2025. Lire un extrait
À noter une éditions spéciale noir et blanc (22€).
