Danse, la Trisha Brown Dance Company à Rennes

La Trisha Brown Dance Company (TBDC) revient à Rennes. L’occasion de revoir Set and Reset, la plus célèbre des pièces de la grande prêtresse de la postmodern dance. Au programme également You can see us et Newark, pièces plus formelles mais fortes de fluidité épurée et dans la résolution de questionnements liés au mouvement et de sa représentation sur scène. Quatre représentations seulement pour ce monument de la danse contemporaine !

 

Début 2016, la compagnie achèvera le Proscenium Works Tour (1979-2011) au cours duquel elle a célébré les pièces du Grand Répertoire de Trisha Brown. S’en suivra le In Plain Site qui sera l’occasion pour le public de redécouvrir les chorégraphies pensées pour d’autres espaces que la scène du théâtre : les parcs, galeries, etc. La chorégraphe new-yorkaise a mené des recherches issues de son apprentissage auprès d’Anna Halprin et de ses collaborations avec Simone Forti et Yvonne Rainer au sein de la mythique Judson Church.

Cecily Campbell a 29 ans et a intégré la Trisha Brown Dance Company il y a deux ans. Elle livre son expérience dans le processus qui mène un danseur à entrer dans les pas d’un autre et à se confronter au travail d’une artiste qui a marqué l’histoire de la danse.

ENTREZ DANS LA DANSE…. 

The Walker (c) Alice Gebura
The Walker (c) Alice Gebura

E.P. : Qu’est-ce qui vous a amené à la danse de Trisha Brown ?

Cecily Campbell : J’ai suivi une formation classique puis en danse moderne à l’université et j’ai fait partie pendant 6 ans de la Shen Wei Dance Arts. Les chorégraphes avec lesquels j’ai travaillé ont été très influencés par la danse de Trisha Brown que, de mon côté, j’admire depuis très longtemps. Intégrer sa compagnie m’a permis de me plonger dans son travail sur le mouvement et éduquer le corps à sa façon de le penser. Les mouvements du corps sont la clé de son travail, le départ de toute chose, et la transposition scénique que Trisha opère est esthétiquement très épurée, sans altération. Il n’y a pas d’histoire, de cadre dramatique, juste le monde des mouvements.

E.P. : Il y a quelque chose de très joyeux dans Set and Reset. Vous êtes comme des enfants : agiles, turbulents,  espiègles.

Cecily CampbellSet and Reset est sans aucun doute une pièce particulière dans l’œuvre de Trisha. Il y a la musique de Laurie Anderson et la scénographie et les costumes de Robert Rauschenberg. La collaboration avec d’autres artistes est quelque chose de très fort chez Trisha. IL émane de Set and Reset quelque chose de très accueillant, de contagieux. C’est une pièce un peu magique.  L’accent est mis sur le jeu des interactions entre les danseurs. Elle se déroule en dehors de tout contexte. Il n’y a pas d’histoire. Les danseurs sont comme des molécules et obéissent à des règles que Trisha a créées et d’où surgit la minutie de la structure mais aussi cette impression que cela ne s’arrête jamais. Les formes se font et se défont. C’est une des caractéristiques des pièces de Trisha. Les relations entre les figures sur scène sont très riches. Nous sommes dans une très grande proximité de dialogue les uns avec les autres. Chacune des figures est liée aux autres. Ainsi même lorsque l’on est à l’autre extrémité de la scène par rapport à une figure, celle-ci influence intégralement les autres. Ce rapport magnétique que nous éprouvons intensifie l’espace et l’exécution même de la danse. Cela nous renvoie à l’infinité des possibilités de l’univers et je pense que cela fait partie de ce qui rend ce travail si fascinant. J’aime vraiment beaucoup cette dimension-là du travail de Trisha.

E.P. : Les Rennais ont pu voir il y a quelques années à l’opéra le solo If you couldn’t see me créée en 1994. Une danse entièrement dos au public. L’année suivante, en 1995, Trisha Brown a créé la version duo de cette pièce You can see us, en quelque sorte, l’envers de la danse. 

Cecily Campbell : C’est la première fois que je danse You can see us. Le mouvement a été créé à partir d’une recherche autour des changements d’orientation et ensuite Trisha a ajouté cette règle qui impose au danseur de rester dos au public tout au long de la pièce. Ainsi le mouvement tridimensionnel de départ est adapté à cette contrainte. Ensuite, Trisha a réinventé la pièce sous cette forme de duo où les danseurs sont en miroir l’un avec l’autre.

E.P. : Votre synchronicité avec Jamie Scott est très impressionnante quand vous ne vous voyez pas.

Newark photo de Stéphanie Berger
Newark photo de Stéphanie Berger

Cecily Campbell : L’unisson créé génère une sensation d’une intensité extraordinaire, si forte qu’il arrive un moment où j’en viens à me demander si c’est moi qui initie mes mouvements ou Jamie. C’est une sensation merveilleuse et déroutante.

 E.P. :  Newark est plus formelle, plus dépouillée…

Cecily Campbell : Oui, dans Newark, Olsi Gjeci et Stuart Shugg forment un duo à l’unisson dans la première partie de la chorégraphie, ce qui confère à la pièce une tonalité de très grande précision. Alors les danseuses entrent en scène et créent un canon avec eux, canon qu’elles perturbent. Il en résulte cette impression d’interactivité de la structure, de recherche et d’excès. La pièce est menée d’une manière très différente de Set and Reset, c’est un autre chapitre du travail de Trisha. C’est très intéressant de voir différentes phases de son œuvre, de retrouver le cheminement de ses idées et de son travail. L’étendue de ses recherches est vraiment très vaste et elle va très loin dans l’expérimentation.

E.P. : Trisha Brown écrit ses pièces à partir d’un important travail d’improvisation. La transmission de ses œuvres s’opère-t-elle également par un travail d’improvisation pour aller vers les pièces ?

Cecily Campbell : Le travail de la transmission de la danse est l’occasion d’un échange fascinant particulièrement quand la pièce a été construite à partir d’improvisations. Lorsqu’un travail se bâtit autour d’une improvisation, même si le résultat est très écrit, il conserve cet état d’esprit. Ses racines restent présentes et se régénèrent dans cette manière particulière de danser. Cette respiration, cet espace de jeu propre à l’improvisation demeure. Mais bien sûr, nous travaillons énormément à recréer quelque chose de très précis. Comme la charge de travail est très importante, nous ne passons pas autant de temps que nous le souhaiterions tous à improviser. Mais nous répétons pendant des semaines pour entrer dans la démarche et les expérimentations des danseurs qui ont contribué aux différentes créations de Trisha. Nous le faisons de la manière la plus similaire possible pour nous approcher toujours un peu plus de la pièce. Lorsque nous nous sentons suffisamment à l’aise techniquement,  nous travaillons à nouveau pour retrouver l’esprit propre à l’improvisation même, et ce alors que nous n’improvisons pas du tout. Nous apprenons les mouvements mais aussi le cheminement du corps dans l’exercice particulier qu’est l’improvisation. C’est un processus assez complexe que d’entrer dans la logique de quelqu’un qui improvise et de la confronter à sa logique à soi. Mais c’est aussi un processus très enrichissant. Trisha a créé cette dynamique de mouvements si particulière et en même temps cette faculté de la partager, de la transmettre en l’incarnant. Ses pièces éveillent en moi un sentiment de liberté aussi bien corporel que spirituel. Et ceci même lorsqu’elle compose à partir de règles si précises. Ces sensations sont toujours très présentes sur scène. Je ressens la peur de l’abandon qui est tout de suite surmontée par la joie que je perçois dans les mouvements que Trisha a créés. L’enjouement et l’espièglerie dont vous parliez pour Set and Reset. La joie et le plaisir du mouvement, même dans les pièces plus formelles.

Set and Reset (1983)
chorégraphie Trisha Brown scénographie et costumes Robert Rauschenberg
musique originale Laurie Anderson
création lumières Beverly Emmons, Robert Rauschenberg Danseurs Cecily Campbell, Marc Crousillat, Leah Ives, Olsi Gjeci, Tara Lorenzen, Jamie Scott, Stuart Shugg

You can see us (1995) 
chorégraphie Trisha Brown, musique, scénographie, costumes Robert Rauschenberg
lumières Spencer Brown, Robert Rauschenberg Danseurs Jamie Scott & Cecily Campbell

Newark (1987)

chorégraphie Trisha Brown, sonore Donald Judd
orchestration sonore et réalisation Peter Zummo, Donald Judd
création lumières Ken Tabachnick Danseurs Cecily Campbell, Olsi Gjeci, Leah Ives, Tara Lorenzen, Jamie Scott, Stuart Shugg

+ d’infos : Trisha Brown Dance Company

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