Depuis septembre 2018, l’ancien bâtiment de la DDE sur le port de Vannes s’est transformé en tiers-lieu artistique et culturel. Le projet DéDalE, propulsé par l’association L’Art prend la rue, a rassemblé 119 artistes, français et européens, reflet de la diversité de l’art urbain. Le site fermera définitivement ses portes jeudi 23 décembre 2021. Unidivers a voulu revenir une dernière fois, en photo, sur les talents qui ont habité les lieux à tour de rôle.
Le temps est compté pour le projet DéDalE à Vannes. Abrité dans les anciens locaux de la DDE (Direction Départementale des Équipements) en bordure du port de Vannes, l’aventure DéDalE – Des Expériences, Des Artistes, Lieu Éphémère – avait comme objectif la reconversion d’une friche en un lieu de création. Après trois ans à montrer la diversité de l’art et des cultures urbaines, elle baissera définitivement le rideau jeudi 23 décembre 2021. Au total, 119 artistes, seuls ou en équipes, se sont succédés et ont investi les lieux, se partageant le rez-de-chaussée et le premier étage du bâtiment.
Prochainement, les chimères du Portugais Pantonio, poissons sortis de l’imagination de l’artiste et figés en plein mouvement, s’animeront et disparaîtront de la façade pour retrouver leur liberté, qui sait, dans la rivière de Vannes, la Marle. La rédaction a visité les lieux, une dernière fois, pour garder le souvenir de cet espace d’immersion et de création à l’état pur où la créativité dans toute sa splendeur a pu s’épanouir pendant trois ans.
Propulsés par l’association L’Art prend la rue, les lieux portent le nom de Dédale, personnage de la mythologique grecque et créateur du fameux labyrinthe du Minotaure. À la demande du roi Minos, l’architecte conçut un labyrinthe duquel personne ne pourrait s’échapper… Le nom est également un subtil rappel au dédale administratif (que l’on connaît tous bien). À juste titre puisque DéDalE, haut lieu de création et de culture éphémère, a été pensé comme une plongée dans les méandres de la création street-art. Du sol au plafond, son histoire s’est construite au fur et à mesure, chaque étage avec un thème, une contrainte.
Une première fois peint en 2018, le rez-de-chaussée a été recouvert afin d’accueillir une nouvelle édition en 2020. Les artistes sélectionnés sur projet ont répondu à la contrainte du thème de l’immersion en lien avec l’histoire du bâtiment. Telle l’armoire du Monde de Narnia, la porte du rez-de-chaussée transporte le public dans un monde pictural original, révélateur de la multiplicité des horizons du street-art. Ce n’est pour autant qu’un aperçu de l’hétérogénéité de ce mouvement artistique. Recouvert par Shoof, le couloir, d’un blanc immaculé en pleine lumière, se révèle dans l’obscurité. Les inscriptions, une histoire écrite en arabe, guident les visiteurs sur le chemin de la découverte.
Un chemin qui dévoile, une fois les portes poussées, de véritables installations immersives, autant figuratives qu’abstraites, à l’instar de la pièce de Lek et Sowat. Dès les premiers pas, la pièce de ce duo d’artistes plonge le visiteur dans ce qui semble être un work in progress : le sol est par endroits recouvert d’une bâche, une échelle attend sur le côté et des pots peintures jonchent le sol. Et pour cause, l’impression d’une résidence d’artistes en cours était la volonté de Lek et Sowat. Les murs, les sols et le plafond sont tapissés de leurs expériences picturales, strates de leurs réflexions artistiques. Les mots disséminés par-ci par-là sont autant d’indices à décoder qu’un clin œil à la pratique du graffiti, ou tag, lettrage originel où l’initié décrypte la signature du graffeur.
De salle en salle, le public découvre les multiples techniques, toutes plus impressionnantes les unes que les autres, tel le crachotti. L’artiste utilise la bombe aérosol comme outil et dessine ses contours à l’aide de différents embouts. Le jet produit un trait plus ou moins net selon la distance de la bombe et la taille de l’embout, créant ainsi de petites projections de peinture.
Adepte de la technique, le muraliste d’origine aveyronnaise Bault convoque à DéDalE les esprits des traditions païennes et religieuses passées. Des corps blancs sur fond noir, semblables à une tribu issue d’un folklore syncrétique, se dressent sur les murs et créent un univers surréaliste et mystique. Ces êtres hybrides, chimères mi-homme mi-bête, entourent les visiteurs de leur présence spectrale. Tels des totems, ils impressionnent autant qu’ils interrogent. Leur apparence et leur disposition dans la salle résonnent avec les danses macabres peintes sur les murs des lieux religieux, à la fin du Moyen Âge. Ce motif représente une danse dans laquelle des personnages vivants, placés hiérarchiquement, sont entraînés au tombeau par des squelettes.
A contrario, avec la même technique, l’œuvre du Nantais Semor se déploie sur un fond blanc. L’artiste a pensé la pièce comme une entrée dans son atelier. À gauche, un mur de croquis, comme la page d’un cahier de dessins, et à droite, une composition aboutie desdites esquisses ressemblant, par certains aspects, à la peinture hallucinatoire du peintre néerlandais Jérôme Bosch. Le street-artiste s’est totalement immergé dans l’expérience DéDalE puisqu’il s’est essayé pour la première fois à la couleur.
Avant de poursuivre le dédale de ce laboratoire d’expériences au premier étage, le public sort de cette tanière immersive en traversant le couloir bleu, mur d’expression libre, première forme de légalisation du graffiti. Sur les parois, les tags et graffs d’inconnu.e.s se dressent et laissent la trace de leur passage en un clin d’œil à la pratique la plus primitive du street-art.
Dès les escaliers, chaque pièce est une exploration dans la psyché artistique des invité.e.s. 50 artistes – en solo, en duo ou en équipe – se sont emparés du niveau et ont respectivement créé un univers à l’image de leur pratique. Les 42 œuvres, réalisées en 2018, ont été conçues in situ, sur une durée allant de trois jours à une semaine. Une rapidité et une efficacité en grande partie dues à leur expérience de graffeurs vandales, pour qui transgression rime avec urgence, comme le souligne Dominique, guide de la visite et membre de l’association.
Le hall et les escaliers recouverts par Diaspora Crew, et les couloirs revisités de Thomas Lacque, Legz et Martin Bineau mènent dans autant d’univers qu’il y a de pièces. Parmi lesquels, le monde hyperréaliste, entre mer et terre, de Stéphanie Kilgast, vannetaise depuis 8 ans. Son obsession de l’hyperréalisme transparaît dans chaque coup de pinceau de l’artiste. Cette œuvre propice à la contemplation représente la diversité des formes de vie dans la nature, entre terre et mer, et sa beauté. La délicatesse du trait et la multitude de détails que la technique permet laissent imaginer le travail titanesque exécuté, à l’instar de l’utilisation de la peinture à lumière noire utilisée par Kelkin et le collectif Carbon 29.
Entrer dans la pièce de Kelkin, c’est entrer dans sa tête. Le dessin est pour lui le moyen de véhiculer les questions philosophiques qu’il se pose. Sur les murs, des labyrinthes colorés, réalisés au marqueur, au pinceau ou au rouleau, s’illuminent dans l’obscurité. « J’aime les symboles qui nous entourent. Le labyrinthe n’a pas besoin de correspondre à une culture pour être lu, il s’agit d’un langage universel. » Une superposition de motifs et d’inscriptions plongent le visiteur dans un monde intérieur.
Arnem, Moner et Meyer du crew Carbon 29 subliment quant eux deux pièces au moyen de la peinture acrylique fluorescente. L’univers de science-fiction imaginé par les trois artistes envahit l’espace, du sol au plafond, faisant perdre ses repères aux intrigué·e·s qui s’aventurent dans l’antre de ce monde spatial. Le concept de dédale fait son œuvre, le public s’enfonce dans l’antre de la création.
La visite se termine en douceur avec l’immersion proposée par vingt étudiants en troisième année à l’IFAT, école d’architecture intérieure supérieure de Bretagne, à Plescop. Née d’un poème écrit par les étudiants, les trois pièces sont une plongée dans l’univers cotonneux d’un champs de fleurs immaculées avant que la porte ne se referme sur l’expérience qu’a offert Dédale… « Sur un nuage de coton, Délicate immersion, Un cocon d’émerveillement, Sensation d’enveloppement, Un soupir de beauté, Douceur immaculée. »
IFAT, DéDalE, 1er étage, Vannes IFAT, DéDalE, 1er étage, Vannes
L’aventure DéDalE a par ailleurs fait l’objet d’un beau livre, paru en novembre 2021.
Clap de fin en vidéo pour DéDalE :
À lire également sur Unidivers.fr :
DÉDALE À VANNES. DANS LA TÊTE DE TAREK BEN YAKHLEF ET MAT ELBÉ