Démolition d’Anna Enquist ou l’introspection d’une compositrice

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Musicienne et psychothérapeute, Anna Enquist puise parmi ses compétences la trame de ses romans. Dans l’univers de la musique classique, les personnages de Démolition, publié aux éditions Actes Sud, questionnent leur passé pour trouver leur place dans une société moderne qui les contraint.

Comme dans une oeuvre musicale, le tempo se donne dès l’ouverture avec une scène qui reviendra régulièrement à l’esprit. Une boule d’acier pend au bout d’une grosse chaîne reliée au sommet d’une grue. Une foule de curieux regarde une fresque peinte sur le mur qui va bientôt s’effondrer sous les coups de l’engin. Elle représente une enfant de dos jouant à la corde à sauter. La boule d’acier percute l’épaule de l’enfant puis l’anéantit complètement.


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Alice Augustus, compositrice néerlandaise d’une quarantaine d’années, regarde cette scène sur son ordinateur. Professionnelle, elle pense déjà à la musique qu’elle pourrait composer sur ces images. Pétrifiée, elle perçoit aussi la mort de l’enfance au travers de la destruction de cette oeuvre d’art. En une scène d’ouverture, Anna Enquist introduit les thèmes de ce roman. Musique, maternité, deuil, postérité et l’éternel conflit intérieur d’une femme artiste qui doit composer entre création et désir d’enfant. D’une plume vive et romanesque, l’auteur construit un récit mêlant passé et présent pour mieux comprendre les sentiments de son personnage.

Alice Augustus est une compositrice reconnue, mais elle gagne surtout sa vie en composant des jingles pour des publicités. Mariée avec Mark Van der Meulen, un spécialiste en droit fiscal, elle vit très confortablement. Mais un enfant manque à son bonheur. Le couple suit un programme de procréation médicalement assistée. Une procédure humiliante souvent vouée à l’échec. Alors qu’elle se débat avec sa stérilité, l’Orchestre symphonique royal lui commande une oeuvre pour grand orchestre dans le cadre des célébrations du centenaire de l’orchestre. Alice est une nouvelle fois confrontée à ce dilemme entre création et maternité. En ce moment intime et douloureux, comment trouver la liberté, la sérénité nécessaires à la création.

La narratrice se débat avec ses souvenirs et ses remords et se raccroche inlassablement à sa passion pour la musique. Toujours elle se rapproche de son compositeur préféré, Joseph Haydn (1732-1809).

« On a plus en commun que je ne pensais, se dit-elle. Pas seulement la faculté de s’abandonner à la musique, pas seulement le désir d’avoir un enfant à soi, mais aussi la peur de se soumettre à quelqu’un qui va vous meurtrir en vous promettant que tout ira mieux. »

Regardée avec mépris par sa mère, ignorée par son père, la jeune Alice, trouve refuge dans la musique. Dans ce domaine très masculin, la jeune fille se fait une place au conservatoire en s’inscrivant au département composition. Elle y trouvera son mentor et amant, Duk van Dijk, un compositeur de quarante ans son aîné.

« Quand tu es un enfant, tu as droit au dévouement total de tes parents. Sinon, tu n’es pas armé pour la vie. Une vie tellement exigeante et imprévisible qu’il faut être très bien équipé, se sentir entouré, compris, aidé au maximum face aux épreuves à accomplir et ça, dès son plus jeune âge. Ce dévouement total, un compositeur ne peut pas l’offrir, car toute son attention est concentrée sur le travail. »

Contrairement à Svea, sa meilleure amie qui s’épanouit dans son rôle de mère de cinq enfants, Alice se sent sans cesse abandonnée. Par ses parents, par son premier amour qui s’exile au Canada, par Duk qui la renvoie vers un autre professeur, même par son mari moins impliqué dans leur désir d’enfant. Mais cette sensation d’abandon n’est-elle pas la conséquence de son comportement envers les autres, de son incertitude, de son impossibilité à trouver sa place ?

Alice se pose mille questions. Haydn n’a pas eu de descendance mais il a conquis la prospérité grâce à sa musique. En était-il heureux ? Pourquoi sa belle-sœur qui a mis sa carrière de peintre entre parenthèses pour élever ses enfants éprouve-t-elle maintenant le besoin d’y revenir ? La création a besoin de liberté. Et l’on ne peut penser librement avec des enfants. Mais un enfant n’est-il pas le seul être dont on est toujours content ? Son besoin de composer, son insatisfaction permanente, son passé ont-ils tué l’enfant qu’elle était et l’enfant qu’elle aurait pu avoir ?

Malgré toutes ces questions introspectives, le roman reste dynamique. L’auteur rythme son récit avec le travail musical d’Alice et par de nombreuses discussions avec les différents protagonistes. La passion d’Alice avec en miroir la vie de Joseph Haydn, emporte le lecteur avec rythme et mélodie, entre frustrations et ambition. Alice, entière et fragile, pourra-t-elle composer avec des contradictions, allier création et procréation ?

Démolition est un roman puissant et sensible, musical et introspectif qui s’inscrit parfaitement dans l’oeuvre d’Anna Enquist.

Poète et romancière, Anna Enquist est néerlandaise. Musicienne, pianiste concertiste, elle est aussi psychothérapeute, spécialité qu’elle a longtemps exercée en milieu hospitalier.Elle consacre aujourd’hui sa vie à l’écriture. Son œuvre est traduite dans de nombreux pays.

Démolition de Anna Enquist, traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif, éditions Actes Sud. 320 pages, Prix : 22,80 euros. Paru le 10 janvier 2024. ISBN : 9782330186609.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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