Dermatose nodulaire contagieuse : en Bretagne des éleveurs sous tension

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En Bretagne, la dermatose nodulaire contagieuse des bovins (DNC) n’a, à ce stade, pas donné lieu à un foyer confirmé. Pourtant, dans les exploitations, la crise se vit déjà comme un choc à bas bruit. Parce que la Bretagne est une grande région d’élevage, parce que les images d’abattages massifs ailleurs ont marqué les esprits, et parce qu’une maladie transmise par les insectes peut se conjuguer à un autre facteur anxiogène : les mouvements d’animaux et les transports.


Au 16 décembre 2025, le ministère de l’Agriculture recense 115 foyers détectés en France depuis le 29 juin, concentrés notamment en Savoie/Haute-Savoie et dans le Sud (Pyrénées-Orientales, puis plusieurs départements d’Occitanie). Dans ce contexte, l’inquiétude bretonne tient moins à ce qui est déjà arrivé sur place qu’à ce qui pourrait arriver, et aux conséquences immédiates d’une crise qui reconfigure la filière.

“On n’a pas peur de la maladie, on a peur des abattages” : un basculement psychologique

Les témoignages publiés ces derniers jours dans la presse nationale racontent un basculement : la DNC n’est pas seulement perçue comme une menace sanitaire, elle devient l’emblème d’une stratégie redoutée, celle de l’abattage total dès qu’un foyer est confirmé. Ce nœud, hautement émotionnel, traverse désormais les discussions en Bretagne, même loin des foyers. Dans les élevages bretons, l’angoisse est alimentée par une question simple : que se passe-t-il si la DNC est suspectée, puis confirmée, dans un cheptel ? La perspective d’un abattage “préventif” de l’ensemble des animaux d’une exploitation agit comme un accélérateur de stress. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement de perdre des bêtes, on perd parfois une lignée, un travail de sélection, une stabilité économique déjà fragile.

Un point a particulièrement frappé la profession en Bretagne : la DNC ne se résume pas à une diffusion “locale” par insectes. Des épisodes documentés dans la communication régionale ont montré que le facteur transport pouvait mettre des élevages sous pression, même loin des zones les plus touchées.

Dès l’automne, des exploitations bretonnes ont été concernées par des mesures de précaution liées à des animaux ayant transité dans les mêmes circuits logistiques que des bovins issus de zones à risque. La DRAAF Bretagne, dans son point de situation (17 octobre 2025), insiste sur la vigilance et rappelle que la maladie est strictement animale (sans risque pour l’humain), tout en décrivant la logique de gestion sanitaire. La presse agricole régionale a, elle aussi, relayé l’existence d’élevages bretons placés sous surveillance à la suite de mouvements d’animaux.

Cette dimension “camions, lots, itinéraires” est cruciale au plan breton. La Bretagne est une région interconnectée au plan commercial. Le moindre soupçon peut provoquer un enchaînement très concret : mise sous surveillance, restrictions de mouvements, désorganisation des ventes, décalage des calendriers d’élevage, etc.

Même sans foyer, la crise a déjà des effets collatéraux.

  • Les mouvements d’animaux deviennent un sujet sensible : l’éleveur qui vend, achète, échange, ou déplace des bovins (concours, rassemblements, circuits commerciaux) navigue dans un cadre plus contraint et plus anxiogène.
  • La trésorerie se tend : à la moindre immobilisation d’animaux, la mécanique financière se grippe (alimentation, charges fixes, incertitude sur la vente).
  • La charge mentale augmente : surveiller les symptômes, suivre les consignes, gérer l’incertitude, répondre aux rumeurs locales, et maintenir la production “comme si de rien n’était”.

Sur le terrain, cette tension est aussi sociale : l’éleveur se retrouve pris entre deux feux. D’un côté, l’État martèle que la situation est “sous contrôle” et que les mesures sont nécessaires ; de l’autre, une partie de la profession considère que l’abattage systématique est une ligne rouge et que la gestion devient inhumaine, voire “catastrophique” au plan de l’accompagnement, comme l’écrivent certains médias.

En Bretagne, une stratégie de “préparation” : information sanitaire et montée en compétence

En réponse à cette anxiété diffuse, la réponse bretonne passe beaucoup par l’anticipation. Le GDS Bretagne a publié plusieurs points de suivi début décembre, signalant les nouveaux foyers confirmés ailleurs en France et rappelant l’importance de la vigilance. Sur ses canaux d’information, il annonce également une série de réunions sur le territoire régional (fin 2025 – janvier 2026) pour informer et cadrer les bonnes pratiques.
Cette approche, très bretonne dans l’esprit, vise à éviter le double écueil :
la panique (qui abîme la filière et multiplie les comportements contre-productifs),
la banalisation (qui retarde les signaux et fragilise la capacité de réaction).

À court terme, la Bretagne se sait “à l’écart” au plan géographique, mais elle se sait “dans le jeu” au plan économique et psychologique. Le scénario le plus redouté n’est pas une diffusion lente : c’est un premier foyer qui déclencherait immédiatement un protocole lourd, avec son cortège d’images (abattage), de fractures (désaccords dans la profession) et d’effets domino (mouvements, marchés, réputation, voisinage).

C’est cela, la tension bretonne : une région où la maladie n’est pas confirmée, mais où l’on vit déjà avec l’idée que la crise peut entrer à tout moment, et qu’elle ne serait pas seulement vétérinaire. Elle serait existentielle pour des exploitations qui, souvent, tiennent déjà à force d’endurance.