Dans C’est qui Dieu, grand-maman? (Éditions de la Bagnole, Quebec), la romancière québécoise Marie-Francine Hébert, en dialogue avec l’illustratrice Catherine Petit, livre une œuvre d’une rare intelligence destinée aux enfants, mais qui interpelle tout autant les adultes. Il ne s’agit pas ici d’un simple ouvrage de vulgarisation religieuse, ni d’un prêche travesti en littérature jeunesse, mais d’un texte profondément philosophique, incarné par deux personnages d’une tendre humanité : Lulu et sa grand-mère, Lola. Une petite pépite en provenance de la Belle Province.
La question posée en titre — « C’est qui Dieu, grand-maman? » — pourrait sembler naïve, presque banale. Elle ne l’est pas. Elle résume à elle seule plusieurs siècles de questionnements théologiques, philosophiques, politiques. Hébert le comprend bien : ce n’est pas tant une réponse que cherche l’enfant, mais une ouverture, un espace de pensée où les certitudes peuvent coexister avec le doute, les croyances avec l’athéisme, les histoires avec les silences.
Le Dieu pluriel et les langages du sacré
Dans une époque où la pluralité des croyances est devenue un fait social incontournable — et parfois un point de friction —, le livre met en scène non pas un Dieu unique, monolithique, mais une constellation de figures, de noms, de façons d’en parler ou de ne pas en parler. Lulu apprend que certains croient en un seul Dieu, d’autres en plusieurs, d’autres encore en aucun. Ce décentrement ne vise pas le relativisme facile : il appelle à la reconnaissance, c’est-à-dire à cette capacité de voir l’autre dans ce qu’il a de singulier, et de lui faire place dans le tissu commun.
Catherine Petit, par son art graphique, accompagne ce propos avec justesse. Les illustrations ne cherchent pas à représenter Dieu — ce serait trahir l’essence même du questionnement — mais à évoquer l’invisible, l’impalpable. Des couleurs douces, des formes parfois symboliques, parfois ludiques, ménagent une place pour l’imaginaire, ce lieu où la spiritualité, l’enfance et la fiction peuvent se rencontrer sans heurts.
Philosopher sans dogme
Loin de toute tentative d’endoctrinement, le livre propose un apprentissage du vivre-ensemble à travers le prisme du questionnement. La figure de la grand-mère, Lola, incarne une sagesse non prescriptive : elle ne répond pas au nom de Dieu, elle ne clôt pas la question. Elle accompagne, écoute, reformule, relance. À bien des égards, elle joue le rôle du philosophe socratique, celui qui aide l’enfant à penser par lui-même.
Ce que le livre met au cœur, c’est une éthique de la cohabitation des convictions. Comment vivre ensemble quand nos visions du monde divergent radicalement ? En accueillant l’interrogation de l’autre sans s’en sentir menacé, en admettant que la croyance et l’incroyance peuvent être également dignes, également humaines.
Un manifeste pour l’altérité dès l’enfance
Dans un monde où les tensions religieuses alimentent encore trop souvent les conflits identitaires, C’est qui Dieu, grand-maman? est un livre de résistance douce. Résistance à la peur de l’autre. Résistance à l’enfermement dogmatique. Résistance à l’idée que l’enfance devrait être tenue à l’écart des grandes questions. Car ici, c’est par la bouche d’un enfant qu’émergent les dilemmes les plus fondamentaux : qu’est-ce que croire ? Et surtout : comment coexister quand nous croyons différemment ?
À travers Lulu et Lola, Marie-Francine Hébert et Catherine Petit nous rappellent que poser la question de Dieu n’est pas seulement interroger une entité transcendante ; c’est aussi, et peut-être surtout, poser la question du lien — avec soi, avec les autres, avec l’invisible. En ce sens, leur livre relève de ce que Montaigne appelait « l’humaine condition » : fragile, diverse, inachevée, mais toujours ouverte à la parole de l’autre.
C’est qui Dieu, grand-maman ?, Marie-Francine Hébert (texte) et Catherine Petit (illustration), éditions De la Bagnole, 64 pages. ISBN – 13 9782897145989. Parution : 17 mars 2025. Lire un extrait