Pour les férus de musique en quête d’authenticité, l’été, avec ses festivals, est forcément la saison. Mais hors des concerts, où trouver un son de qualité sinon dans le vinyle ? Le microsillon, depuis quelques années, s’est de nouveau imposé dans les bacs et à Rennes ce ne sont pas les disquaires qui manquent pour vous conseiller. Tour d’horizon d’un retour vers le futur inespéré.
On l’avait donné pour mort. Et mis à part quelques aficionados, rares étaient ceux qui le tenaient encore en estime. Le CD, le numérique, la grande distribution étaient passés par là et ce n’était plus que grâce à quelques labels isolés qu’il survivait. Trop grand, trop cher, old school, il était voué à prendre la poussière dans les greniers ou les bibliothèques de quelques excentriques, fiers encore de les collectionner. Du moins jusqu’à il y a quelques années, car depuis la fin des années 2000, on ne jure plus que par lui. Certaines éditions s’arrachent. Dans les bacs, il est redevenu un passage obligé : le vinyle est là, de retour, après des années d’exil forcé. Simple mode ou vraie résurrection ?
Un retour gagnant
En 2013, ce sont plus de 471 000 vinyles qui ont été vendus dans l’hexagone. Le chiffre est dérisoire, certes, face au 48.5 millions d’albums écoulés la même année mais il revient de loin, et force est de constater que même marginale, la demande de disques vinyles ne cesse d’augmenter ; une embellie sur un marché dévoré par le numérique. L’année dernière, il représentait 4.5% du marché français et l’engouement est tel que l’on estime qu’il pourrait en représenter à terme 10 et 20% (source : Planetoscope). L’unique usine de pressage française, MPO, référence en la matière, est aujourd’hui débordée. De nouvelles fabriques se créent. Toute récemment ouverte, M’Com Musique, au sud de Rennes, a choisi de se spécialiser, dans la foulée de ce succès, dans les petites séries, misant sur une production artisanale et de qualité.
La ferveur est telle que certains donneraient déjà pour mort le CD et verraient bien les nouveaux comportements de consommation musicale se cristalliser autour du streaming et du vinyle, entre le numérique et le tangible, le clic et l’objet. Ce n’est toutefois pas de l’avis des professionnels qui restent prudents et ne souhaitent pas enterrer trop vite le support CD comme beaucoup l’avaient fait avec le vinyle il y a une trentaine d’années. Certes de nouvelles habitudes de consommation apparaissent, se confirment, mais doivent encore s’ancrer sur la durée. Le numérique évolue lui aussi, le streaming prenant sûrement le pas sur le téléchargement.
Quoi qu’il en soit, nul doute que la galette noire est un support sur lequel il faudra compter : elle a su renouveler son public sans débouter les anciens passionnés. Aux collectionneurs toujours en quête de rareté s’ajoute aujourd’hui un public plus jeune qui prend exemple sur ses aînés. Le vinyle s’est ouvert aussi aux autres styles musicaux. Historiquement lié au rock, c’est pourtant grâce à l’électro et au hip-hop que le vinyle a survécu aux 90’s. Le succès grandissant, la platine touche désormais tous les genres, du Punk à la House, en passant par la Soul et la Variété. Les rééditions sont légions et rares sont les nouveautés à ne pas sortir en 33 tours, voire uniquement en 33 tours. Nombreux sont les labels indés aujourd’hui à se concentrer exclusivement (ou presque) sur la production de vinyles, quand les artistes ne s’impliquent pas eux-mêmes directement. Jack White, ex-guitariste électrique et survolté des White Stripes, fondateur de son propre label, y presse ses albums sur microsillon. Lazaretto, son deuxième effort solo aura d’ailleurs été le 33 tours le plus vendu l’année de sa sortie.
Microsillon = Passion
Mais pourquoi retourne-t-on au microsillon après tant d’années d’abandon ? Les raisons de ce revival ne sont pas un mystère. On retourne au 33 tours d’abord car on recherche un son, de qualité supérieure, un son rond, chaud, authentique, loin de la fadeur des Mp3 et autres formats numériques. C’est ce qui fait toute la richesse du vinyle, support traditionnel des masters analogiques car il permet de rendre un spectre audio plus large et une plus grande précision au niveau du son, il restitue une sensation acoustique plus proche de l’enregistrement studio ; un son moins lisse donc et avec ses défauts, mais riche et sans artifice. Ajoutez à cela, le crissement, discret et nostalgique, du diamant dans le sillon, à lui seul cet argument justifie ce retour.
Des platines dans les salons
Mais on y revient aussi comme pour rompre avec la dématérialisation abusive de nos bibliothèques. Un vinyle, c’est aussi et avant tout un bel objet, une pochette en grand format, prolongement de la créativité de l’artiste, œuvre d’art au sens propre, que l’on prend plaisir à regarder, à exposer, à posséder. À l’intérieur, le disque aussi a pris des couleurs, le noir cédant parfois la place à d’autres teintes plus vives et à des motifs bariolés. On ne se mentira pas, il y a bien comme du fétichisme dans le 33 tours, et certains les achètent même sans les écouter : c’est, avant tout, autre chose qu’une banque de données perdue dans les recoins d’un disque dur, sans âme et parfois vite oubliée. Et puis, le vinyle est un objet auquel on peut s’accrocher. Il est concret et il dure. Il grandit avec nous et se conquiert une histoire, des souvenirs à raconter, quand les vibrations du diamant se mêlent aux instants vécus ou tout juste croqués.
Il réintroduit enfin un autre rapport à la musique, profond et passionné. Le microsillon est un support exigeant, qui dicte son temps. Fini la consommation effrénée de hits éphémères, l’œuvre s’écoute désormais en entier. Le vinyle se savoure dans la durée comme un vieil alcool ou un bon roman que l’on prendrait le temps de déguster, bien loin du quotidien, de ses sollicitations et de ses cadences imposées. Aucune excuse pour ne pas dépoussiérer ces vieux disques qui traînent dans un carton.
Une imposture commerciale ?
Le retour du microsillon, toutefois, n’est pas dépourvu de côtés obscurs. Surfant sur la brèche ouverte par les labels indépendants, les majors se sont emparés du vinyle pour tenter de compenser les pertes liées à la chute des ventes d’albums CD. L’initiative aurait pu être louable si elle n’avait défiguré le marché du vinyle en seul marché de l’objet. Transformé en pur produit merchandising, le 33 tours accompagne désormais toutes les nouvelles sorties, même pour des genres qui se prêtent davantage à d’autres formats. Et les prix ont suivi. Il est devenu très difficile pour les disquaires indépendants de proposer des vinyles à moins de 20, 25 voire 30 euros, ce qui empêche toute standardisation du microsillon et le cantonne à un public réduit. Il y aurait presque de quoi tuer à nouveau le format.
Les majors ont surtout compris qu’elles pouvaient jouer sur la méconnaissance du grand public de la différence en termes de qualité sonore : nombre de nouveaux pressages et même des rééditions se contentent de proposer la gravure vinyle du master numérique, déjà compressé. Adieu master analogique et son de qualité, le vinyle n’est plus proposé que comme un objet de plus dans le large panel du merchandising, destiné à fidéliser ou à appâter de nouveaux publics. Un marché de niche donc, inséré dans une stratégie commerciale parfaitement millimétrée.
Il ne faut pas pour autant dramatiser
Tous les vinyles produits aujourd’hui ne sont pas de mauvaise qualité, loin de là. Les labels indépendants et même les majors continuent de commercialiser d’excellents pressages, seulement pour s’y retrouver, les conseils de spécialistes avisés sont loin d’être accessoires, des conseils que dispensent heureusement les disquaires, dont le retour du vinyle a favorisé la réapparition dans les quartiers.
Selon le Calif (Club d’Action des Labels Indépendants Français) qui est à l’origine du Disquaire Day, dont le succès ne cesse de croître d’année en année, le vinyle a permis l’ouverture de 3 à 4 nouveaux disquaires indépendants dans les grandes villes tous les ans. Loin des centres de consommation institutionnels et standardisés, ils offrent une alternative locale et singulière à une industrie musicale déformée par la grande distribution et les normes de marché. C’est peut-être la meilleure nouvelle qui accompagne le retour du 33 tours que la réouverture des boutiques spécialisées, de ces disquaires à qui l’on vient commander un album particulier, mais aussi fouiller entre le neuf et l’occasion, se laisser conseiller, échanger avec d’autres passionnés, pour finalement repartir avec un vinyle complètement différent de ce que l’on était venu chercher.
La ville de Rennes n’est pas en reste côté 33 tours
L’héritage rock et le dynamisme culturel de la ville ont permis la concentration d’excellents disquaires, lieux de rendez-vous d’un public éclectique et intéressé.
À ceux qui ne savent pas encore quoi poser sur leurs platines, on ne pourra que conseiller de se rendre au Blindspot Les Angles Morts, le disquaire du 36 Rue Poullain Duparc à Rennes, qui propose tous les styles, métal, techno, indus ou afro, du neuf comme de l’occasion et une librairie spécialisée pour les amateurs comme les plus passionnés ; ou encore chez It’s Only, ouvert depuis 10 mois maintenant au 3 rue Jean Jaurès, tout aussi généraliste et tout aussi bien fourni.
Les amateurs de Rock’N Roll trouveront chez Rockin’Bones le repère idéal. Depuis 1998 au 7 Rue de La Motte Fablet, QG du label Beast, le rock garage, le blues, le rock’n roll et surtout un grand nombre de labels indé y ont leurs quartiers. Autre adresse à ne pas manquer dans le registre Rock, Les troubadours du Chaos au 48 rue de Saint-Malo, qui outre un large choix dans le punk et le hardcore, propose tout le look vintage, le vrai Camden rennais.
Si c’est plutôt la Black Music qui vous fait vibrer, la jeune boutique Groove au 2 rue de la Motte Fablet devrait vous combler. Les répertoires blues, soul et jazz s’y déclinent en vinyles de seconde main, des pressages U.S originaux directement importés. Enfin, pour les passionnés de musique classique ou de chanson française, ou si c’est encore du côté jazz et des musiques du monde que vous vous laissez porter, c’est chez Les enfants de Bohème, tout juste arrivé au 2 rue Maréchal Joffre, qu’il faudra se diriger.
Quoiqu’en disent ses contradicteurs et ceux qui accusent les majors de le dénaturer, le vinyle est de retour. Pourquoi donc s’en priver ? Et cet été pourquoi ne pas se laisser aller à monter le son de vos vieux microsillons ?