Quelle est La fragilité de Dominique A ? Depuis la sortie en 1992 de La fossette, l’artiste n’a cessé de se réinventer à travers 12 albums studio. L’année 2018 avait été marquée par la sortie en mars de Toute latitude, avec comme toile de fond la saison hivernale. Dominique A nous expose le 5 octobre La fragilité, un album de 12 chansons traversées par l’introspection, la contemplation et l’évocation de la nature.
Visiblement, 2018 aura été une année prospère pour Dominique A (de son vrai nom Dominique Ané). Deux ans après Eléor (2015), il est revenu avec pas moins de 24 chansons qu’il a souhaité présenter sous la forme de deux albums. Le premier, intitulé Toute latitude, était paru en mars dernier et était construit pour l’essentiel sur des sonorités électroniques et des programmations de la boîte à rythmes Tanzbär, qui se faisaient l’écho d’atmosphères extrêmement tendues ou nostalgiques. C’est une logique différente qu’il semble avoir suivie pour écrire les chansons qu’il a incluses dans La fragilité.
Dès la chanson La poésie, la première de l’album La Fragilité, on découvre une instrumentation plutôt épurée, concentrée sur le jeu des guitares folks et de la guitare électrique, même s’il il y résonne quelques notes de synthétiseur dont la réverbération donne une tonalité assez rêveuse à la chanson. Il s’agit effectivement d’un opus à dominante acoustique que Dominique A a décrit lui-même comme directement inspiré de la musique folk, en particulier celle de Nick Drake et Léonard Cohen. Les paroles de cette première chanson en font une ode quasi romantique à la poésie et un superbe hommage rendu à Léonard Cohen. Elle fut écrite le 9 novembre 2016, deux jours après le décès du célèbre musicien canadien. Son ombre semble d’ailleurs y planer, à travers le son si familier de la guitare sèche sur laquelle joue Dominique A, instrument qu’il possède depuis l’enregistrement de son 3e album La mémoire neuve (1995). On ressent effectivement cette inspiration dans les chansons dont l’instrumentation est la plus centrée sur la guitare acoustique (Comme au premier jour et Le ruban).
La poésie, donc, est au centre du propos de Dominique A, notamment dans les deux premières chansons de La fragilité (La poésie et Comme l’encre). De même, son écriture relève également de cette poésie et dégage un lyrisme palpable qui s’apparente à celui du romantisme. Mais comme les représentants de ce mouvement culturel, ses textes célèbrent également la nature, recherchée à travers ses aspects les plus purs et parfois menacée par les excès de la civilisation. C’est ainsi ce qu’inaugure Le grand silence des campagnes, la troisième chanson de l’album La fragilité, qui évoque avec nostalgie et désenchantement l’urbanisation des zones rurales.
À l’écoute des chansons de La fragilité, on découvre progressivement que chacune d’entre elles retraduit une atmosphère qui lui est propre. On peut néanmoins décrire leur esthétique instrumentale comme condensant les influences les plus importantes qui ont jalonné l’éducation musicale de Dominique A. Les morceaux les plus acoustiques sont basés sur un style folk similaire à celui des années 50 à 70, dont on retrouve les principaux éléments. Y est employé, en outre, l’incontournable procédé du « picking » que Dominique A manie avec aisance dans des chansons comme Comme au premier jour et Le ruban. De même, dans la plupart de ces chansons, il recourt à la structure strophique jadis présente dans les Lieder de la musique romantique allemande, par exemple dans ceux du Voyage d’hiver de Franz Schubert.
Parallèlement au son acoustique de la guitare sèche, l’instrumentation de certaines chansons de La fragilité fait intervenir d’autres sonorités similaires à celles développées dans le cadre de la new wave et de la pop des années 80. En effet, il n’est plus un secret que l’artiste natif de Provins compte parmi ses influences des groupes comme Joy Division, The Cure et les Stranglers, qu’il écoutait pendant son adolescence. On peut ainsi déceler ce qui apparaît comme des résonances de ces esthétiques, à travers certains éléments caractéristiques : en premier lieu les boites à rythmes, auparavant omniprésentes dans Toute latitude, sont la trame de chansons comme Le grand silence des campagnes et Le temps qui passe sans moi. De même, les parties martelées de basses et les sonorités électroniques, présentes dans certaines de ces chansons, peuvent également rappeler ces esthétiques. Hormis Comme au premier jour, seule la chanson La route vers toujours semble échapper à cette démarche. On est même plutôt étonnés d’y entendre une partie de piano qui, superposée à la voix de Dominique A et son jeu satiné de guitare, rend le timbre de cette chanson plus délicat et renforce sa mélancolie. En effet, l’artiste semble y relater le cheminement de la vie d’un homme et évoque la mort à travers le chemin « sans retour ».
Pour la composition des chansons de La fragilité, il semble avoir réutilisé une démarche assez similaire à celle de Nick Drake, sur son album Five Leaves Left (1969), à savoir la combinaison d’un jeu de guitare acoustique folk et épuré avec des arrangements plus élaborés. Les parties instrumentales additionnelles sont ici assurées à la guitare électrique, aux synthétiseurs et au moyen de boites à rythmes. De fait, certaines des chansons dans cet album présentent des parties instrumentales aux rythmes assez contrastés, mais qui s’avèrent complémentaires : des valeurs rythmiques courtes aux guitares et aux boites à rythmes, superposées à des rythmes plus longs à travers les nappes jouées au synthétiseur. On perçoit notamment cet aspect à l’écoute de la chanson La splendeur. Elle s’articule notamment autour d’une boîte à rythmes sur un tempo modéré » qui est presque similaire à celle du trip hop des années 90, parallèlement à des nappes d’accords joués au synthétiseur, à la temporalité assez floue.
C’est également avec plaisir que l’on retrouve la voix si particulière de Dominique A, de par son phrasé fluide (quoique parfois légèrement entrecoupé), son léger vibrato, son timbre chaleureux et ses intonations qui semblent traduire un lyrisme discret. Elle semble presque se faire l’écho d’une certaine sensualité, parfois à la limite du chuchotement. Cela semble être cas, par exemple, dans Comme au premier jour, La splendeur et Le soleil. Mais par moments, elle semble exprimer davantage un sentiment de fébrilité, aspect qui va de pair avec ce que Dominique A considère comme un aspect indissociable de notre humanité : la fragilité. Cette même fragilité, dont il a donné le nom à son album et à sa chanson conclusive, au propos explicitement centré sur cet aspect de notre être, que la vie en société aurait bannie. L’expression de cette fébrilité est d’ailleurs accrue par le recours de l’artiste à ce qui s’apparente à une forme de sprechgesang (« chanter parlé »). Il faut également souligner le caractère éminemment expressif des silences, qui jouent dans La fragilité un très grand rôle. Ils confèrent à la vocalité de Dominique A une ponctuation personnelle et très éloquente, même si elle pourrait apparaître comme apaisée à la première écoute.
L’atmosphère doucement mélancolique mise en musique par Dominique A dans son album La fragilité semble correspondre à la période automnale dans laquelle nous venons à peine d’entrer. Les plus rêveurs pourront se laisser porter par sa voix envoûtante et ses instrumentations parfois exaltantes. On en oublierait presque que le temps passe… sans nous.
L’album La fragilité (Cinq7) sera dans les bacs dès le 5 octobre 2018. Vous pourrez voir et écouter la fragilité de Dominique A en concert dans le cadre de sa prochaine tournée, le 16 janvier 2019 à Redon et le 20 février 2019 au TNB de Rennes lors de l’édition d’hiver de La Route du Rock.