RAVE, BREAK ET SOCIO, LE NOUVEL EP D’EARL NEST

Earl Nest publiait un nouvel EP le 2 décembre 2021 sur le label rennais Interval. Six Generations est le premier opus signé du producteur de musique électronique et multi-instrumentiste originaire de Dinan, le cinquième en tout pour cet habitué de l’autoproduction. L’opus repose sur différentes variations d’un même thème musical autour d’un sujet éminemment politique, comme souvent chez l’artiste, la reproduction sociale.

Artwork : Ambre et Marina. Mastering : Omicid. Label : Interval [ITV012]

L’EP Six Generations, du musicien électronique Earl Nest, paraissait le 2 décembre 2021, sur le label rennais Interval. L’EP compte cinq morceaux qui sont autant de variations d’un seul et même thème original intitulé « Six Generations ». Trois sont des compositions, ou plutôt des recompositions, d’Earl Nest, les autres sont réalisés par deux artistes résidents d’Interval, REVM et Ephaze. Autour de cette mélodie unique, « ce qui change, c’est l’edit : le tempo, les arrangements, l’intention », explique Earl Nest. 

Le musicien renoue ainsi avec une pratique très courante pour la musique électronique dans les années 1990, quand sur un disque étaient pressées plusieurs versions d’un morceau, avec un “mix” différent pour chaque piste. S’embêtant bien peu des prétentions d’originalité et de génie qui ont régi les arts dits “nobles” depuis la fin du XVIIIe siècle en Occident, ces mixes peuvent aussi bien avoir été composés par des artistes distincts.

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© Cony Photography

Ce choix de direction artistique, étonnant à une époque où les EP sont de plus en plus envisagés par les producteurs de musique électronique à la façon de mini albums, a en fait permis à Earl Nest d’illustrer dans une même œuvre, à partir d’une seule idée directrice, l’éventail de ses influences. Ainsi, dans Six Generations, on trouve « Bigoudène Rave Edit », « Bristol Attack Edit », et « Breakotte Jacotte Edit ». Les remixes sont, quant à eux, intitulés « Ephaze Muscadet Edit » et « REVM Galette Saucisse Edit ». Placées entre parenthèses, ces appellations désignent les orientations prises par le mix. Elles peuvent aussi bien être des indications de style, comme dans les trois premiers mixes, que des boutades, comme dans les deux remixes.

Ainsi, « Bigoudène Rave » rend hommage à la culture rave bretonne à laquelle prend part Earl Nest en jouant régulièrement dans ce genre d’événements, par exemple avec son collectif Mikrokosm. C’est aussi un clin d’œil à la rencontre d’Earl Nest avec l’équipe du label Interval, lors d’une soirée organisée près de Dinan par l’association Fest Noise. « Bristol Attack » est une référence appuyée à Massive Attack et à la ville d’origine du groupe, berceau du trip hop. Enfin, « Breakotte Jacotte » est une expression utilisée régulièrement par Earl Nest pour décrire les morceaux faisant usage de breaks, des interruptions du rythme à grand coup de percussions. Plus imagés encore, les noms des remixes sont sans doute une allusion au côté plus directement rentre-dedans de leur esthétique techno industrielle, à moins qu’ils ne soient une tentative synesthétique, des plus raffinées, d’associer un morceau de musique à un aliment ?

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© Cony Photography

Adrien Bouchet, cofondateur et gérant d’Interval, explique que cette approche a beaucoup plu au label, dont l’identité très marquée pour le moment par une techno sombre et industrielle, ne reflète pourtant pas l’ensemble des sensibilités musicales de l’équipe. Il se réjouit de cette façon de casser les codes d’un genre qui se peut peiner à se renouveler, en y important comme ici l’usage du break, ou encore celui de la voix.

Car si la mélodie originale composée par Earl Nest peut échapper aux oreilles les moins fines dans certaines des versions, où elle se trouve “enfouie dans le mix” (buried in the mix, dit-on en anglais), ce qui revient pourtant, c’est la voix de l’artiste. En plus de ses machines, de sa guitare basse et de son mélodica, le musicien s’essaie désormais au chant dans ses productions, et bientôt dans ses performance live, influencé comme il l’avoue, par l’Alençonais Tomi Marx, avec qui il collabore. Dans le tumulte électronique, la voix susurre une histoire de générations gâchées. Probablement les mêmes qui ont, à force de s’égosiller en vain peut-être, préféré faire chanter les machines, ou chanter avec elles. 

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© Cony Photography

Ces six générations sont une référence directe à une étude de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) de 2018, qui soulignait, s’il était besoin, la panne de l’ascenseur social dans le monde. Les résultats de l’enquête montraient par exemple qu’en France, il faut six générations, soit 180 ans, pour que quelqu’un des 10 % les plus pauvres de la population puisse remonter à la moyenne nationale du niveau de vie. N’en déplaise à celles et ceux qui prétendent enrayer le déterminisme social, il s’agit d’une triste réalité à laquelle Earl Nest, Charles Genestoux de son état civil, a été confronté lorsqu’il a dû reprendre son travail de poissonnier après des études de communication, ne trouvant pas de débouchés dans cette branche.

« Dans la musique électronique, il peut y avoir cette dimension de génération désabusée qui va chercher refuge dans les free partys ou les festivals, pour trouver une autre façon de faire », affirme Earl Nest, encore très punk “no future” dans l’esprit. Et en effet, nombre de mouvements majeurs de la musique électronique sont nés de villes industrielles en déclin, Chicago, Detroit, Manchester, Bristol. À l’heure où une croissance économique inédite en France ne parvient absolument pas à résorber la fracture sociale, il ne fait pas de doute que la musique électronique a encore de beaux jours devant elle au pays merveilleux du ruissellement.

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© Cony Photography

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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