Foi, discipline et controverse : plongée dans l’internat catho de Stérin en Sologne

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Dans les forêts tranquilles de Sologne, un internat hors contrat fait grand bruit avant même d’avoir ouvert ses portes. Soutenue par le milliardaire ultra-conservateur Pierre-Édouard Stérin, l’Académie Saint-Louis de Chalès promet une éducation d’excellence « enracinée dans la tradition catholique ». Entre rigueur académique, spiritualité assumée, rejet du relativisme moral et choix pédagogiques radicaux, l’école divise. Derrière les murs encore en travaux se joue déjà une bataille culturelle d’envergure.

Un cadre strict et une éducation « intégrale »

L’Académie Saint-Louis ne s’en cache pas : elle s’inscrit dans la tradition des internats catholiques européens d’avant 1968, qu’elle entend réactualiser. L’établissement sera non mixte (garçons uniquement dans un premier temps), avec uniforme, lever aux aurores, offices religieux quotidiens, emploi du temps cadré, absence d’écrans et confiscation des téléphones portables. L’internat est total : les élèves rentrent chez eux une fois par mois seulement.

Selon les documents de présentation, l’école veut offrir une formation intégrale de la personne, selon les quatre piliers : l’intelligence, la volonté, le corps et l’âme. On y enseigne donc la prière aussi bien que l’art oratoire, la discipline militaire aussi bien que la rhétorique, dans une perspective de « virilisation » éducative, assumée et revendiquée.

Un contenu pédagogique inspiré de l’école libre et du trivium médiéval

Côté enseignement, l’Académie adopte une pédagogie dite « classique », inspirée du trivium (grammaire, logique, rhétorique), structure d’apprentissage médiévale redécouverte récemment dans les cercles éducatifs anglo-saxons chrétiens. En pratique :

  • Les langues anciennes (latin obligatoire dès la 6e, grec en option dès la 4e) occupent une place centrale, non pour l’examen mais pour « former l’esprit à l’ordre et à la beauté ».
  • Littérature classique, récitation, dictées quotidiennes, dissertations longues, études de textes religieux et profanes sont au cœur de la formation.
  • La philosophie est enseignée dès la 4e, dans une version adaptée à l’âge, avec des thèmes liés à l’anthropologie chrétienne.
  • Les sciences ne sont pas négligées, mais sont abordées avec une volonté de replacer la connaissance dans une vision téléologique : l’ordre naturel du monde est « voulu par Dieu ».
  • L’histoire est enseignée sous un prisme catholique et « civilisationnel », avec une forte insistance sur la chrétienté médiévale, la royauté française et la critique des Lumières jugées « dissolvantes ».
  • L’instruction civique fait l’objet d’un cours spécifique centré sur la subsidiarité, l’ordre social naturel, la famille comme cellule politique, et la critique de la démocratie libérale.

Un enseignant contacté sous anonymat par Mediapart explique : « On veut former des hommes solides, pas des adolescents fragilisés par le wokisme ou le doute. On parle aux garçons comme à des futurs chefs de famille, responsables et enracinés. »

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L’internat de Pierre-Édouard Stérin en Sologne

Des enseignants sélectionnés sur leur « cohérence doctrinale »

L’équipe pédagogique est composée en grande majorité de jeunes agrégés, normaliens ou enseignants issus du monde hors contrat, recrutés selon un double critère : excellence académique et adhésion aux valeurs catholiques traditionnelles. Certains viennent de l’enseignement catholique sous contrat, d’autres des écoles libres indépendantes inspirées du modèle dominicain ou bénédictin. Tous sont soumis à un serment de loyauté aux principes fondateurs de l’école, qui inclut une fidélité explicite au Catéchisme de l’Église catholique.

Un programme de formation spirituelle continue est prévu pour les enseignants, avec retraites, lectures théologiques et séances de supervision.

Des conférences aux accents idéologiques assumés

Au-delà du tronc pédagogique, l’Académie Saint-Louis organise régulièrement des conférences du soir, ouvertes aux élèves, aux parents et parfois aux adultes extérieurs. Au programme ces derniers mois :

  • « Le piège de la laïcité républicaine », par un prêtre de la Fraternité Saint-Pierre
  • « Pourquoi l’avortement détruit l’Occident »
  • « L’ordre naturel et le combat des sexes »
  • « Les racines chrétiennes de la France contre l’individualisme contemporain »

Ces interventions sont perçues par les critiques comme des opérations d’endoctrinement. À l’inverse, des parents séduits parlent d’« oasis spirituel dans une école nationale livrée au nihilisme ».

Un établissement surveillé mais légalement protégé

Parce qu’elle est hors contrat, l’Académie échappe au contrôle régulier de l’Éducation nationale, sauf sur les questions sanitaires et de sécurité. Une inspection peut vérifier l’acquisition des « connaissances minimales » (français, mathématiques, culture générale) tous les cinq ans. Pour le reste, la liberté pédagogique est totale. Le ministère de l’Éducation suit néanmoins le dossier avec attention, inquiet de la multiplication de structures similaires en zone rurale. Plusieurs parlementaires ont demandé un renforcement des moyens de contrôle et une réforme du statut des établissements hors contrat.

Entre admiration et inquiétude, l’Académie Saint-Louis incarne la mutation d’une frange conservatrice catholique qui ne se contente plus d’influencer la politique ou les médias, mais investit désormais massivement l’éducation. Pour ses partisans, l’école prépare une élite morale et intellectuelle apte à relever les défis spirituels de la France. Pour ses adversaires, elle représente une menace à l’unité républicaine et au socle commun. Reste à savoir combien de familles suivront, et si ce modèle sera marginal, ou le premier d’une nouvelle génération d’écoles privées idéologiquement marquées.