L’Automne littéraire des Champs Libres, dont Unidivers s’est réjoui d’être partenaire, s’est terminé avec Élisabeth Lavezzi et Rozenn Fournier. Pour rentrer dans l’hiver, nous avons la rentrée littéraire et la lecture des classiques au coin du feu. Dans cette temporalité sans saison, la bibliothèque des CL, Élisabeth Lavezzi, enseignante à l’université Rennes 2, et la comédienne Rozenn Fournier invitent les Rennais à des lectures croisées. Objectif : explorer de grands textes de la littérature. Mercredi 9 décembre, le thème s’est emparée du fameux héros et du moins connu… marginal.
Le héros est-il la figure littéraire dominante des littératures du XVIIe et XVIIIe ? Et le marginal, voire l’antihéros, celle de la modernité ? Et d’ailleurs, comment la transformation s’est-elle faite ? Que nous apprend-elle sur le monde ? La question posée par Élisabeth Lavezzi, spécialiste du XVIIIe, excède la littérature. La lecture croisée de Rozenn Fournier commence par un contraste saisissant : d’un côté, le chant XXII de l’Iliade, épique à souhait, de l’autre un dialogue entre deux vagabonds, Vladimir et Estragon, tiré d’En attendant Godot. Homère versus Beckett ? Pas vraiment si l’on considère Ulysse comme le premier vagabond de la littérature.
Christine Cordonnier, chargée d’action culturelle aux Champs Libres, nous avait prévenus : « l’idée, c’est de donner la place à la littérature classique, mais surtout de croiser les époques et d’accorder une place forte au texte ». Plusieurs problématiques sont lancées par l’universitaire, aussitôt mises en scène par la comédienne. Celle-ci a d’ailleurs tenu à ce qu’une place soit accordée à des femmes, des héroïnes. De Judith, dans la pièce éponyme de Claude Boyer (1695), on passe à la lettre de Germaine Tillion, résistance récemment rentrée au Panthéon. Peut-on faire acte d’héroïsme par le rire ? Le héros est-il toujours un guerrier ?
Avec la critique de la guerre, cette figure cesse de remplir sa fonction. Ou au mieux, elle se transforme. Du Matamore parodié par Corneille dans L’Illusion comique au sinistre, cynique et cinglant Bardamu de Louis-Ferdinand Céline, dans son Voyage au bout de la nuit, le héros est déconstruit. Pour devenir le marginal. Mais qu’est-ce que la marginalité ? Où la marge s’arrête-t-elle ? Qu’est-ce qui la sauve de l’oubli ? Avec Marivaux et Koltès, les deux femmes explorent ces pistes. « Le marginal remplit toujours une fonction critique au sein de la société », nous explique Élisabeth Lavezzi. Il met en lumière « les défaillances collectives ».
Souvent, le héros devient une menace lorsque la guerre se termine. Le marginal, comme l’a prouvé les échanges avec le public mercredi soir, soulève de nombreuses questions. Est-ce qu’un auteur peut écrire sur la marginalité, sans s’y trouver lui-même ? L’auteur, à partir du moment où il est publié, peut-il être considéré comme tel ? La conférence aurait pu durer des heures… car, après tout, au-delà de la figure littéraire du marginal se pose le souci d’une écriture ou d’une forme marginale, ou encore le problème de l’oubli, voire du silence. La marginalité a souvent été présentée dans la conférence comme un phénomène social ou historique. Or, qu’en pensait, par exemple, Joë Bousquet, cet écrivain paralysé ? Ou Don Quichotte, ce marginal qui se pense héroïque ? Décidément, cet automne littéraire des Champs Libres nous aura, cette année, agréablement surpris. « De quoi nourrir l’hiver et ma mélancolie » disait Léo Ferré. Vivement l’année prochaine.
Réviser ses classiques : héros et marginal, lectures croisées
Conférence proposée par La Bibliothèque des Champs Libres
Le 09.12.2015 / 90 min
Bibliothèque des Champs Libres
Tous les âges
Élisabeth Lavezzi, Rozenn Fournier.
Photo : Benoit Gaudin