Emmanuelle Huynh présente sa dernière création, Nuée, du 10 au 13 novembre 2021 et Mùa, une de ses premières pièces, les 15 et 16 novembre 2021 dans le cadre du festival TNB, au Triangle – Cité de la danse. Pièce remarquable, cette dernière a posé les bases du travail de celle qui est devenue une grande dame de la danse. Unidivers avait réalisé un article lors de sa venue en 2016.
Initiée avec Mùa en 1995, l’autobiographie est une nouvelle fois au cœur de la dernière création d’Emmanuelle Huynh avec Nuée, créée en 2021. Dans l’une et l’autre pièces, la chorégraphe puise l’inspiration dans ses expériences personnelles, ses origines. « D’un côté le Vietnam, lisible par fragments, comme une langue à déchiffrer – sur son visage, dans ses pieds, inscrite dans son prénom Thanh Loãn, Oiseau bleu : pays et paysage redécouverts à l’occasion de la pièce inaugurale Mùa en 1995. De l’autre, la France où elle est née et s’est formée à la philosophie et à la danse. Entre les deux, un fin liséré qu’elle parcourt, en cherchant cette fois-ci à lever le voile plutôt qu’à laisser infuser l’obscurité », écrit Gilles Amalvi au sujet de Nuée, prochainement au TNB.
Alors que Nuée dessine une carte où circulent des énergies et des réminiscences, qui structurent son corps de danseuse, Mùa s’adresse à l’âme du danseur et celle du spectateur.
Comme on écoute de la musique dans le noir pour mieux ressentir chaque note, chaque intervalle, chaque silence, Emmanuelle Huynh a composé Múa en plongeant sa danse dans l’obscurité complète.
Ça n’est pas que la salle qui est dans le noir, mais également la scène sur laquelle elle se produit. Emmanuelle Huynh danse dans le noir, la nuit, les ténèbres, les rêves. Ce noir, par son importance, revêt quasiment le statut d’élément (comme le serait l’air, la terre ou le feu) et le spectateur plongé dans ce noir quasi total est à l’affût de la moindre information, perception, sensation. Emmanuelle Huynh devient comme une apparition énigmatique, un esprit au milieu du silence, puis de la musique de Kasper T. Toeplitz. C’est tout un imaginaire qui est réveillé.
Pourtant, c’est bien une danseuse de chair et d’os qui est éclairée par la lumière très subtile d’Yves Godin. Elle est là, devant nous et la perception de ses gestes est démultipliée pour le spectateur, mais aussi pour la danseuse elle-même ; le moindre bruit dans la salle est pris en compte. Les perceptions habituellement transmises par la vue et l’ouïe sollicitent ici le corps tout entier du spectateur, le plaçant à une distance inédite de ce que ressent Emmanuelle Huynh, juste là, sous nos yeux. Le spectateur se surprend à intégrer cette danse d’une manière inouïe, à être lui-même dans une micro-danse qu’il intériorise au maximum puisqu’il ne peut bouger de son fauteuil alors que, précisément, l’obscurité appelle le mouvement pour pallier l’inquiétude. Une dimension particulière de la danse se déploie, une danse comme une pulsion de vie.
Emmanuelle Huynh crée cette pièce en 1995, bien avant son parcours de pédagogue qui lui valut la direction du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers, après des études de philosophie et de danse, et un parcours d’interprète prestigieux (Nathalie Collantes, Hervé Robbe, Odile Duboc, Catherine Contour, le Quatuor Knust). Elle prend appui sur trois sources d’inspirations pour élaborer Múa : le parcours Dark Noir de Michel Reilhac à la vidéothèque de Paris, où le spectateur, plongé dans le noir, est privé de tout repère ; l’improvisation les yeux fermés qu’Emmanuelle Huynh expérimente tout au long de sa carrière d’interprète ; mais surtout un voyage au Viêt Nam effectué dans le cadre de sa bourse Villa Médicis hors les murs. Dans le pays d’où est originaire son père, mais dont elle ne parle pas la langue, Emmanuelle Huynh communique avec les Vietnamiens par le biais de la danse. Elle éprouve dans ce pays si éloigné le sentiment de reconnaître des choses profondément ancrées en elle.
De ces trois racines, elle crée Múa dans lequel les pistes qu’elle suit tout au long de son travail chorégraphique sont déjà présentes, un attachement à l’histoire de la danse contemporaine ainsi qu’à l’Asie (notamment au Japon). Mais surtout avec Múa Emmanuelle Huynh contre le mauvais procès que l’on fait à la danse contemporaine, qui est parfois dite trop intellectualisée, trop abstraite. Elle démontre que la danse, tout énigmatique qu’elle puisse être, s’adresse au ressenti et à l’imaginaire qui nourrissent une réflexion chez le spectateur. Si elle active son intellect, ce n’est jamais au détriment de ses sens, mais au contraire, par ceux-là même.
Du 10 au 13 novembre 2021, Nuée, Emmanuelle Huynh, TNB.
mercredi 10 novembre : 19 h / jeudi 11 novembre : 15 h / vendredi 12 novembre : 19 h / samedi 13 h : 16 h. Tarifs : De 4 € à 17 €
Du 15 au 16 novembre, Mùa, Emmanuelle Huynh, TNB.
lundi 15 novembre : 19 h + 21 h / mardi 16 novembre : 19 h + 21 h. Tarifs : De 4 € à 17 €
Visuel : Jean-Baptiste Huynh