Valérie Tete, élève au lycée Chateaubriand de Rennes, a remporté le concours national de plaidoiries des lycéens le vendredi 25 janvier au mémorial de Caen, prix du jury et des lycéens. Du haut de ses 17 ans, la Franco-Togolaise a porté la parole des enfants-sorciers en Afrique et plus particulièrement dans son pays natal. Ces enfants condamnés à la torture ou à mort après être nés généralement avec un handicap. Elle va désormais pouvoir transmettre son message à l’ONU à New York. Unidivers la rencontre.
UNIDIVERS : Pourquoi ce choix de parler des enfants-sorciers au Togo ?
VALÉRIE TETE : J’ai eu plusieurs idées. Étant née au Togo, j’ai finalement choisi les enfants-sorciers grâce à un reportage de France 24 sur ce sujet. J’en avais déjà entendu parler auparavant. C’était très facile de tomber dans un fatalisme, alors il a fallu proposer des solutions en fin de discours. En plus, c’était plus simple d’expliquer ce sujet d’enfant à enfants.
UNIDIVERS : Quelle aide as-tu reçue du lycée ?
VALÉRIE TETE : Très peu au début, car j’ai décidé au dernier moment de participer au concours sans en parler à personne. J’ai mis beaucoup de temps à m’y mettre ! J’avais même jeté les flyers de présentation. J’ai ensuite posté ma vidéo de candidature d’environ une minute. Lorsque mon lycée et moi avons appris que j’étais retenue en demi-finale parmi les 140 candidats sur Rennes, j’ai eu l’aide de ma professeure d’histoire. Je me suis alors dit « mince j’aurai du boulot en plus » (rires). Mais ce qui a marché, je pense, c’est que j’ai mis toute ma personnalité dans ma plaidoirie.
« Quand une famille est pauvre et a du mal à nourrir deux ou trois enfants, en accuser un d’être sorcier est un excellent moyen pour s’en débarrasser. Et ce qui est bien c’est qu’il sera trop jeune pour se défendre… »
UNIDIVERS : Tu utilises beaucoup l’ironie dans ce sujet très délicat. C’est la raison de ton succès ?
VALÉRIE TETE : Ma professeure d’histoire m’a dit que les jurés du concours cherchaient des profils différents. Et l’ironie, ça marche très bien. Je voulais interpeller les gens. C’est pour ça aussi que je parle d’histoire vraie. Ce ne sont pas des prénoms inventés, c’est vraiment arrivé d’après l’association Creuset Togo. Je mets tellement de cœur que j’ai donné un coup de pied sur scène. On m’a dit de faire attention de ne pas trop en faire, mais ça a bien servi en demi-finale (rires). Après pourquoi ça a marché ? Aujourd’hui, je ne sais toujours pas (rires). C’était pas mal, mais ce n’était pas fou. Maintenant, il faut pouvoir rentabiliser ça pour que le message ait de l’intérêt.
UNIDIVERS : Quelle suite vas-tu donner à cette plaidoirie ?
VALÉRIE TETE : On va aller prononcer ce discours devant l’ONU. J’espère que je ne serai pas obligée de parler en anglais ! (rires) Plus sérieusement, c’est une super opportunité pour évoquer cette situation grave au Togo et plus généralement en Afrique. Je vais retourner au Togo cet été et nous avons lancé une cagnotte pour soutenir l’association Creuset Togo. Les enfants-sorciers font partie de la croyance dans ce pays et il est très difficile de lutter contre ces accusations. Ce sont des facteurs socio-culturels très ancré et difficile à changer. Pour certaines personnes, ma plaidoirie c’était une critique du gouvernement. Alors que justement le but est de montrer que ça n’est pas politique.
« Si ce soir, ne serait-ce que l’un d’entre vous s’intéresse à ces enfants, là aura été notre réelle victoire. »
UNIDIVERS : Quels retours as-tu reçus ?
VALÉRIE TETE : J’ai notamment reçu des messages très positifs de l’association. Depuis le concours, j’ai pu parler à de nombreux médias, ce qui offre un bon coup de publicité à Creuset Togo. Je reçois aussi plein d’histoires tous les jours ainsi que des photos. Tout ça me durcit, j’en ai besoin pour comprendre l’importance de mon action. C’est important qu’il y ait une communauté internationale qui soutienne et encourage les actions de l’ONG car c’est comme ça qu’elle pourra être encore plus efficace. C’est peut-être un peu naïf, mais c’est ce que j’espère.
UNIDIVERS : Comment as-tu contenu ton stress ?
VALÉRIE TETE : Sur scène, je ne voyais personne. Je balayais la foule du regard, mais sans vraiment me préoccuper du public. Ce qui comptait c’était le message. En sortant, j’ai pleuré sous l’émotion, mais j’étais contente de ce que j’ai fait.
UNIDIVERS : Il devait y avoir une bonne ambiance avec les autres participants, non ?
VALÉRIE TETE : Oui, c’était une chouette expérience. On était tous des jeunes avec des ambitions différentes qui ont tous de l’espoir pour changer le monde.
UNIDIVERS : Comment cette plaidoirie et ce concours vont-ils t’aider pour la suite de tes études ?
VALÉRIE TETE : Euh… à vrai dire, je ne sais toujours pas ce que je vais faire après. Je suis attirée par plein de choses. Je prend des cours de cinéma et je gère un club d’art. J’aime me questionner. J’aime aussi les rencontres. Je ne me vois pas dans un bureau. Avec mes bonnes notes, mes professeurs m’encouragent à m’inscrire en classes préparatoires. Mais je ne sais pas si j’en ai envie. Je veux bien réfléchir à ce que je souhaite faire et ne pas me limiter. Mais c’est compliqué, car ça n’existe pas vraiment, on finit par devoir choisir.
Cinq prix ont été remis à ce concours de plaidoiries des lycéens :
Prix de la Région Normandie et du Mémorial de Caen, et prix du jury lycéen
Valérie Tete, Lycée Chateaubriand, Rennes : « Nos enfants ne sont pas des sorciers ! »
Prix Amnesty International
Amélie Cassagne, Lycée Saint-Joseph, Avignon : « L’art d’être censuré »
Prix MGEN (et coup de cœur d’Unidivers.fr)
Abdallah Charki, Lycée Duhamel du Monceau, Pithiviers : « Pleure en silence »
Pour en savoir plus sur la question des enfants-sorciers ici.