Jean-Baptiste Baronian est un écrivain belge de langue française membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises. Il est également connu sous son pseudonyme de Alexandre Lous. Romancier, auteur de nouvelles fantastiques, d’anthologies et de livres pour enfants, critique et essayiste, il a travaillé dans l’édition, chez Marabout. Jean-Baptiste Baronian a publié à ce jour une cinquantaine d’ouvrages, dont Une bibliothèque excentrique et le percutant La Bibliophilie, une sanction.
On retrouve cet attachement au livre et à l’édition dans son nouveau roman L’Enfer d’une saison. Dans une élégante mise en miroir, cette diachronie imaginaire nous invite à suivre les déambulations de Rimbaud dans la ville de Bruxelles en 1873 et les pérégrinations d’un bibliophile en 1973. Cent ans les séparent, Bruxelles les réunit.
Bruxelles où Rimbaud doit demeurer pendant dix jours « à la disposition de la justice » après les coups de feu tirés sur lui par Paul Verlaine. Dix jours d’errance qui modifieront son destin. A la suite de rencontres alambiquées et parfois un peu loufoques, le jeune Arthur se retrouve, presque contre son gréé, dans la boutique de celui qui deviendra l’éditeur de son seul et unique livre publié Une Saison en enfer :
Je traite avec un babouin, pensa Rimbaud. Mon carnet de damné va paraître chez un babouin. Mais qu’est-ce que j’attends pour me lever, me précipiter hors de ce bureau lugubre, aller voir une des autres imprimeries du quartier, discuter avec un être humain, un homo sapiens ? Qu’est-ce que j’attends pour m’évader d’ici, m’offrir, les yeux fermés, au soleil ? (p.147)
Nous passons d’un monde à l’autre avec aisance. Entraînés dans les aventures divergentes de deux hommes aux passions différentes, mais pour lesquels le verbe et les recueils qui lui offrent l’asile sont d’irremplaçables alliés dans la bataille contre la vie morne et sauvage. Nous suivons Rimbaud du 18 juillet 1873, lendemain du fameux tir de Verlaine, jusqu’au jour de la réception (manquée faute d’argent) de son livre chez son imprimeur et éditeur le 23 octobre 1873. Et notre bibliophile bruxellois tout au long d’une journée de flânerie bibliomaniaque.
Cette journée est le 23 octobre 1973 et touchant à sa fin, la synchronicité éclate et se dévoile pour mieux se résorber dans une ironie mordante. La déception de deux hommes, mais, deux déceptions, chacune à la hauteur des inassouvissements de chacun. Le trésor que le bibliophile croyait à sa portée s’envole – dure leçon de la frivolité du désir de possession des choses. Quant au poète, c’est la confirmation d’une vocation à la perpétuelle étrangeté au monde :
… j’ai l’impression d’avoir sous les yeux le livre d’un autre, d’un auteur qui n’est pas moi, mais qui serait moi aussi. Un livre, au fond, qui se serait fait grâce à moi, mais qui se serait fait également tout seul, selon sa propre grammaire… En même temps, c’est comme si je contemplais un objet vain et futile, une sorte de succédané… (p.172)
Un curieux roman. Attachant. Au rythme lent bien qu’il nous fasse faire régulièrement des bonds de cent ans pour nous mettre dans les pas de ces deux personnages que l’auteur a liés. Un roman curieux dans lequel le lecteur avance d’un pas mal assuré, mais mu par la curiosité – en suivant, discrètement, à distance, une personne que l’on connaît peu dans les rues d’une ville inconnue. Un roman attachant aussi par son évocation touchante et affectueuse du Bruxelles des libraires et des bouquinistes. Un monde qui pour n’être pas si lointain dans le temps semble pourtant plus englouti que toutes les Atlantides.
C’est donc un « moment » de lecture très singulier que nous offre Jean-Baptiste Baronian, à la fois paisible et palpitant, curieux et drôlement mélancolique.
Thierry Jolif