Lire des romans, pouah mais quelle horreur ! Maurice déteste les romans, il les méprise même, comme tous ceux, ignares et incultes, petits esprits qui s’en délectent. Et on appelle ça de la littérature ! Il ne peut pas comprendre l’attirance qu’on peut avoir pour ces histoires inventées, fausses, alors que lire doit au contraire participer à la culture, faire apprendre, grandir !
Maurice d’ailleurs ne comprend pas grand monde ni grand-chose autour de lui. Il est solitaire, pas spécialement aimé de ses élèves et vit seul. C’est un vieux râleur un peu imbu de sa personne et de sa culture. Sa seule distraction ou presque, vient de sa cousine avec laquelle il part une fois par an en vacances, en général en voyage culturel dans différents pays d’Europe. Elle est tout son contraire, joyeuse et forte alors qu’il est misanthrope et maigrichon. Elle a un caractère positif, est affectueuse ; il est renfermé et neurasthénique, mais ils se connaissent depuis leur plus tendre enfance et de toute façon, Maurice ne partirait pas si Sylvie ne l’entrainait pas dans son sillage.
Cette année, point de voyage, mais un séjour dans une maison perdue en pleine campagne. Maurice, qui déjà ne se souvenait plus du lieu, est un peu angoissé et s’attend à ce que ces vacances soient pesantes. Et en effet, ça commence mal. À peine arrivée, Sylvie fait la connaissance d’amies au supermarché du coin, ravie de lancer des invitations et de présenter Maurice, qui n’a aucune envie de voir ces femmes vulgaires et inintéressantes à ses yeux. Et en plus, Sylvie commet l’irréparable : elle achète le dernier roman de Chris Black !
Déjà, « se procurer un livre en supermarché » est tout à fait inimaginable pour Maurice, mais Chris Black, a-t-on déjà vu un nom pareil ? Et peut-on faire confiance à quelqu’un qui fait les têtes de gondoles dans une grande surface, qu’on choisit comme on choisit une salade ? (Toute ressemblance avec un Musso ou un Levy pour ne parler que des auteurs français n’est sans doute pas tout à fait fortuite ! – ou bien un EE Schmitt !)
« Un livre c’était un objet sacré, précieux, dont on découvrait d’abord l’existence au sein d’une liste bibliographique, sur lequel on se renseignait, et puis le cas échéant, qu’on convoitait, dont on écrivait les références sur un papier, qu’on allait chercher ou commander chez un libraire digne de ce nom, en aucun cas un livre ne se cueillait au milieu des saucisses, des légumes et des lessives ! »
Cependant, Maurice est curieux et il va (en cachette) ouvrir ce roman, juste pour vérifier ce qui met sa cousine dans un tel état d’exaltation. Et aussi parce que la 4e de couverture qu’il a parcourue évoque un mystère historique qui l’intéresse. Bref, il va se faire prendre au jeu, mais ne se doute pas que lire des romans n’est pas de tout repos, et que cela peut avoir des conséquences totalement incroyables ! Est-ce que le roman lui fait perdre ses moyens et distille en lui peur et angoisse, rêve-t-il ou bien entend-il vraiment des bruits bizarres la nuit dans la vieille maison ? Non, non, il ne rêve pas, il y a bien un mystérieux cambrioleur !
Le lecteur pourra trouver cette longue nouvelle dans les recueils de Eric-Emmanuel Schmitt, mais c’est au travers d’un livre audio que j’ai rencontré Maurice, et je ne peux que vous conseiller de vous JETER sur cette petite merveille d’humour. L’histoire en elle-même est déjà assez drôle et largement satirique, mais racontée par Pierre Arditi, elle devient tout à fait succulente. Il faut dire qu’en fait il ne raconte pas, il joue littéralement le texte, et on a l’impression de l’avoir en face de soi. Il prend les intonations, sa voix change, se module, il rit, il murmure, il tremble ou il rugit, c’est fantastique de vérité et de vie et je me suis régalée du début à la fin. Et puis bon, c’est Arditi et il ne faut pas se voiler la face, on en ferait bien un quatre-heure, avec cette voix chaude et basse qui vous… hum !
Crime parfait ; Les Mauvaises Lectures : Deux nouvelles à chute, Eric-Emmanuel Schmitt, Eric-Emmanuel Schmitt, juin 2011, 144 p., 5€