Invité par les Beaux-Arts de Rennes, l’auteur Olivier Cadiot a partagé un moment avec les étudiants et le public. Le temps d’une lecture inspirée et maîtrisée de son dernier roman, paru aux éditions P.O.L. : Providence.
L’organisatrice de l’événement le précise : on ne présente plus Olivier Cadiot. Mais de le faire, tout de même. Auteur phare de la ligne éditoriale P.O.L, avec notamment Charles Juliet ou Emmanuel Carrère, cet élégant quinquagénaire a commencé avec L’art Poétic’ en 1988. Suivront plusieurs autres romans remarqués comme Futur, ancien, fugitif ou Un mage en été. Olivier Cadiot évolue dans une galaxie esthétique très P.O.L ou Minuit : entre hommage et détournement des recherches formelles modernistes, son écriture navigue dans les références, envolées stylistiques et ruptures parodiques.
Du reste, Cadiot est aussi traducteur de Gertrude Stein, dont il tire son influence pour les avant-gardes littéraires du début du siècle. Polymorphe, on le retrouve aussi dans des traductions bibliques des Psaumes et du Cantiques des Cantiques.À l’instar d’un Tanguy Viel ou d’un Frédéric Boyer, Cadiot œuvre dans ses textes à une réflexion sur la littérature. Il cofonde d’ailleurs en 1993 avec Pierre Alféri la Revue de littérature générale. L’oralité de sa prose le conduira naturellement au théâtre : ses pièces seront mises en scène par Ludovic Lagarde et le festival d’Avignon le consacrera artiste associé en 2010. Il collabore avec Rodolphe Burger sur le titre Samuel Hall d’Alain Bashung. Ils enregistreront trois albums ensemble, On n’est pas des indiens, c’est dommage, Hôtel Robinson et Psychopharmaka.
Multicarte, connu quoiqu’un peu souterrain, Olivier Cadiot est reconnu pour ses lectures emportées et théâtralisées. À Rennes, dans l’auditorium de l’ESAAB, la performance était au rendez-vous. L’auteur a commencé par la quatrième et dernière partie de son roman, « la plus sombre » selon lui, dans laquelle « «un homme âgé ne comprend plus rien ». Pas étonnant que les Beaux-Arts l’aient convoqué : les quatre pièces de Providence parlent narration, art moderne, modèle, photographie, etc. La lecture de l’auteur éclaire sa propre prose, il est vrai, parfois un peu alambiquée. D’une salle du conservatoire jouxtant l’auditorium, une musique se fait entendre comme un bruit de fond. Olivier Cadiot, amusé, se prend au jeu. « On dirait du baroque », dit-il aux spectateurs. D’une voix délicate, il déroule le fil du texte. Il campe son personnage : un vieil homme confus qui prépare une conférence dans le but de prouver qu’il n’est pas fou. Le vertige nominal et la précision technique du texte prend, dans ce monologue, un sens nouveau. Dans un émerveillement réciproque, on comprend que l’auteur découvre une deuxième fois ce qu’il a écrit auparavant. Au dédoublement de l’écriture s’adjoint alors un autre dépassement par la lecture. Un moment de littérature comme on aimerait en partager plus souvent, un superbe Cadiot pour noël.
Quand il n’y a plus de comparaisons possibles, c’est terrible, les choses vous arrivent vraiment. Vous êtes synchrone de tout ce qui se passe. Sans issue ; votre corps épouse exactement les roues dentées du temps qui passe. Vous avez perdu la distraction, c’est horrible. Il y a un délai entre les choses et vous ; entre les choses et les choses ; entre vous et vous. Il n’y a que dans les dessins animés où l’on peut voir un être courir dans le vide avant de tomber de la falaise. Et se relever indemne illico. Mais c’est de moi qu’il s’agit, Je réalise — il n’y a plus de personnage. Plus de dehors. Je suis dans moi jusqu’au cou. Un cauchemar fabriqué par son propre corps. L’enfer, c’est moi. Ça me donne envie de hurler. Les questions sont dures comme du bois. Je suis nu : ça fait mal.