Il y a des questions que l’on se pose depuis toujours, sans vraiment y répondre. Pourquoi mange-t-on ? Facile. Pourquoi respire-t-on ? Évident. Mais pourquoi dort-on ? Voilà un mystère biologique que la science traîne depuis des décennies. En juillet 2025, une équipe de chercheurs de l’Université d’Oxford a publié dans Nature une découverte qui pourrait bien marquer un tournant. Le besoin de sommeil naîtrait d’un stress… électrique, au cœur même de nos cellules.
Des microcentrales sous tension
Le héros discret de cette histoire s’appelle la mitochondrie. Un organite minuscule, présent dans chacune de nos cellules, et chargé de produire l’énergie dont nous avons besoin. Mais cette centrale énergétique a un défaut : quand elle tourne à plein régime, elle perd des électrons. Ces électrons en fuite créent des molécules toxiques (les ROS, ou dérivés réactifs de l’oxygène) qui abîment la cellule si rien ne les arrête.
Et c’est là que le sommeil entre en jeu.
Quand le niveau de stress devient trop élevé dans certaines cellules nerveuses spécialisées – celles qui contrôlent le sommeil –, c’est comme si un disjoncteur biologique se déclenchait. Un signal est envoyé au cerveau : il est temps de dormir, pour éviter les dégâts.
« Il est crucial d’éviter que les mitochondries perdent trop d’électrons. Sinon, elles produisent des molécules qui détériorent les cellules », explique le Dr Raffaele Sarnataro, premier auteur de l’étude.
Des mouches pour percer le secret humain
Pour tester leur hypothèse, les scientifiques ont utilisé… des mouches. En modifiant l’activité électrique de leurs mitochondries, ils ont réussi à rallonger ou raccourcir leur temps de sommeil. Une preuve spectaculaire que c’est bien cette surcharge électrique qui déclenche l’envie irrépressible de dormir. Mais ce n’est pas qu’une histoire de mouches.
Un signal universel : quand le cerveau dit stop
Cette découverte change tout. Elle lie trois grandes fonctions de l’organisme :
- le sommeil,
- le métabolisme (la manière dont notre corps produit de l’énergie),
- et le vieillissement cellulaire.
« Nous voulions comprendre à quoi sert le sommeil, et pourquoi nous le ressentons si fortement », raconte le Pr Gero Miesenböck, co-auteur de l’étude.
« Nos résultats montrent que la réponse pourrait se cacher dans le mécanisme même qui nous maintient en vie : la respiration cellulaire. »
Autrement dit, si l’on ne dormait pas, nos cellules brûleraient trop de carburant, trop vite. Et finiraient par s’abîmer. Dormir devient alors un acte de réparation, imposé par nos cellules elles-mêmes.
Dormir pour survivre
Ce lien profond entre mitochondries, stress métabolique et sommeil permet aussi d’expliquer pourquoi les maladies mitochondriales s’accompagnent souvent d’une fatigue chronique extrême. Les patients n’ont pas seulement sommeil… leur corps l’exige, pour limiter les dégâts.
Et si ce signal, ce « trop-plein électrique » des mitochondries, était la véritable horloge cachée derrière notre rythme de sommeil ? C’est l’hypothèse que les chercheurs commencent à explorer.
Cette étude répond peut-être, pour la première fois, à une question vieille comme l’humanité : et si l’on dormait pour que nos cellules puissent souffler un peu ?
Pour aller plus loin : d’autres théories complémentaires
Le dernier résultat de l’étude s41586‑025‑09261‑y offre une explication physique objective au besoin de dormir : nos mitochondries envoient un signal d’alerte quand le stress électrique atteint un seuil critique, ce qui déclenche l’endormissement pour protéger les cellules. Cela s’ajoute à d’autres hypothèses sur la réinitialisation neuronale, les cycles homéostatiques et le contexte évolutif humain. Ensemble, ces approches donnent un éclairage riche et multidimensionnel sur pourquoi l’humain ne peut pas se passer du sommeil.
D’autres recherches récentes fournissent des explications supplémentaires sur le besoin de dormir :
Réinitialiser le cerveau comme un ordinateur
Keith Hengen et collègues ont montré que le sommeil sert à restaurer la « puissance de calcul » optimale du cerveau : au fil de la journée, les circuits neuronaux s’éloignent d’un fonctionnement idéal, et le sommeil rétablit cet état en réinitialisant les réseaux
Régulation homéostatique et circadienne
Le besoin de dormir s’accumule (processus homéostatique) via des substances comme l’adénosine, tandis que l’horloge biologique synchronise notre sommeil à l’alternance jour‑nuit grâce à la mélatonine et à des gènes horloge (CLOCK, Per, Cry…)
Évolution et sécurité en groupe
Selon plusieurs experts, le sommeil profond chez l’humain a évolué chez des sociétés vivant en groupe, où la vigilance collective permettait de dormir plus efficacement en toute sécurité, contrairement à d’autres espèces vulnérables pendant leur sommeil
