Dans ce roman d’amitié et d’amour, Olivier Adam renoue avec ses plus belles pages. Il raconte la difficulté de construire son existence quand on vit, adolescent, en banlieue pavillonnaire.
Sur le bandeau de couverture, ils sont trois, trois adolescents, deux garçons et une fille. Elle s’appelle Sarah. Eux se prénomment Paul et Alex. Leur rencontre commence en 1985. Ils ont une dizaine d’années quand ils font connaissance. Les parents de Paul viennent de changer, à leurs yeux, de statut social, en déménageant dans cette proche banlieue de Paris. Quelques kilomètres pour passer de la cité de la Croix Blanche à la zone pavillonnaire de la rue des Sycomores. Pas celle du Clos Saint Pierre construite par Kaufman et Broad, juste à côté. Celle là elle est trop chère pour l’instant. Plus tard, peut être. On se doit d’être précis car la résidence est le premier signe d’appartenance sociale et la rue des Sycomores est un personnage essentiel du roman de Olivier Adam. Une nouvelle fois le romancier breton, raconte la vie de toutes celles et ceux qui sont en « lisières », lisière de la grande ville et lisière de la banlieue. Pas pauvre mais pas suffisamment riche pour vivre aisément sans soucis des fins de mois. C’est dans cette rue qu’à dix ans le trio enfantin se forme bientôt marqué et scellé par un drame secret fondateur d’une relation triangulaire que Sarah et Paul se racontent de manière chorale quarante ans plus tard. Deux voix pour raconter trois vies.

« Nous sommes liés pour toujours. D’une manière qui n’appartient qu’à nous. Et échappe à toutes les définitions. A celles de l’amour comme à celles de l’amitié ». La recherche de ce qui relie les trois amis, amants, est au coeur de ce roman qui embrasse les mouvements sociétaux des années quatre vingt dix. Au fur et mesure que s’égrènent et se partagent leurs histoires, le récit de Sarah et de Paul hésite entre amour et amitié, deux sentiments, deux frustrations, deux désirs qui se télescopent derrière des non dits. Chacune, chacun est ballotté dans un maelström affectif dont on peine à donner un nom.
Des enfants turbulents qui se confrontent à ceux du quartier voisin aux adultes de la cinquantaine, c’est cette « vie devant nous » qui nous est racontée avec une justesse et une précision qui rappellent les meilleurs romans d’Olivier Adam. L’écriture est juste pour dire le quotidien de ces millions de français, majoritaires, et pourtant à la marge, s’excluant eux mêmes de la culture, des vacances, ces activités qui ne « sont pas pour nous », réservées aux autres, à « ceux d’en haut. Ceux de Paris ou des grandes villes. Ceux qui avaient des relations ». A la manière de Nicolas Mathieu, et de son roman « Leurs enfants après eux » (Goncourt 2018) dans lequel l’auteur s’attachait à décrire la France périurbaine des années quatre vingt dix dans l’Est de la France, Olivier Adam, raconte la soumission d’une classe sociale à un ordre préétabli, une hiérarchie non écrite. La soumission c’est aussi celle des femmes à un patriarcat des profondeurs. Les « chefs de famille » sont bien là dans ces pavillons, omniprésents et omnipotents. Olivier Adam nous installe dans le canapé devant la télévision, dans la cuisine, dans ces chambres d’ados d’où l’on voit le copain d’en face. C’est précis, c’est juste comme un documentaire et c’est poignant comme la quête de vies en construction.
Dans ce monde, Sarah, Paul, Alex cherchent à trouver leurs voies. Pas simple de quitter la rue des Sycomores quand on n’a pas les codes de « ceux qui se la jouent ». Alex, le plus fracassé des trois va tenter de survivre et de devenir artiste peintre. Sarah s’engagera dans le social. Paul, introverti, figé dans des sentiments qu’il étouffe, en lisière lui aussi de son univers d’enfant, va insensiblement rompre avec son milieu et devenir écrivain. L’écriture pour dire ce que sa parole réelle ne peut exprimer. Il choisit de vivre en Bretagne, près de Pléneuf, il vieillit avec des cheveux blancs et un collier de barbe, il a des liens avec le Japon, et surtout il écrit des romans inspirés de sa vie réelle, dans lesquels il mélange fiction et des personnages de son environnement affectif et familial. Dans une mise en abyme vertigineuse, on se surprend à mettre le visage d’Olivier Adam sur le témoignage de Paul. Tout s’entremêle, se mélange, se confond dans cette littérature du réel. Et de la fiction. Olivier-Paul mêle une nouvelle fois l’universel de la vie sociale et l’intime de vies individuelles. Nos petites histoires dans notre grande Histoire.
« Et toute la vie devant nous », annonce le titre. Une page blanche à écrire porteuse d’espoir et de bonheur quand on a dix ans. Finalement un roman, ou une vie, bien plus difficile que prévu à écrire. Olivier Adam nous aide à nous projeter ou à regarder derrière nous selon nos âges, nos expériences. Une chose est certaine rien n’est simple. Pour Alex, Sarah ou Paul. Et pour les autres, ceux qui se la pètent, comme ceux qui les regardent.
Et toute la vie devant nous de Olivier Adam. Éditions Flammarion. 314 pages. 22€. Parution : le 20 août 2025. Feuilleter
