Étienne Davodeau sera présent aux Champs Libres dans le cadre du festival Jardins d’hiver, samedi 3 février 2024. Retrouvez notre chronique à propos de son dernier ouvrage, Loire aux Éditions Futuropolis. L’auteur prolonge sa réflexion sur la protection de la nature et de l’environnement. Il utilise cette fois-ci la fiction et les lieux de chez lui. Sublime.
Se présenter à poil pour un rendez-vous. Ce n’est peut être pas ce qui est conseillé même s’il s’agit d’un rendez-vous amoureux. En l’occurrence, il s’agit bien d’un rendez-vous amoureux, celui d’un homme d’âge mûr, Louis, avec une ancienne chérie, celle d’une « période heureuse de sa vie. Avec elle ». Elle s’appelle Agathe. Elle habite sur le bord de Loire près des ponts de Cé. C’est pour elle que Louis revient à sa demande. C’est pour elle qu’il se dévêt. Pour elle ou pour le fleuve? Il n’est pas le seul à être invité, ou convoqué. Il y a là Jalil, Suzanne, Nicolas. Il en manque d’autres, notamment José, qui va se contenter d’adresser un mél. Agathe va se faire attendre, désirer, le temps pour les quatre compères de se trouver, de se remémorer, de raconter leurs vies d’avant. De parler de tout, sauf de leurs vies d’après.
Agathe est absente mais la Loire est omniprésente. C’est elle qui va veiller sur les souvenirs des amants, les ressusciter, rendre la vie aux plongeons sous l’orage, faire entendre le doux murmure du passé. Autour de l’absente et de la présente, une discussion silencieuse s’instaure. Elle prend les sonorités colorées d’une journée ensoleillée sous les frondaisons d’un arbre gigantesque que l’on a envie de serrer très fort comme on a envie de serrer Agathe. Elle claque comme la foudre et ruisselle comme la pluie après l’orage. Elle déborde enserrant les maisons de tuffeau de ses vaguelettes ou elle s’assèche quand les mots deviennent insuffisants pour dire la vieillesse, le temps qui passe, les amours anciennes. Les possibles filiations.
Cette discussion, Davodeau aimait nous la raconter, dans de précédentes BD, avec ses personnages autour d’une table, le soir, sous un ciel étoilé, un verre de Muscadet à la main. Loire renoue avec l’intimité amicale, amoureuse de Lulu femme nue, ou de Rural. On se dit à ce moment là, sous la tonnelle, les choses essentielles, celles que le quotidien ne permet pas d’exprimer. Le fleuve témoin permanent aide aussi, au moins autant que le verre de rosé à dire :
« Est-ce qu’un fleuve en nous parlant de lui, peut nous parler de nous? De nos façons de le considérer? De nos façons de vivre? »
Encore faut il l’écouter et le regarder, le fleuve. Vivant désormais dans les coteaux du Layon, qui dominent la vallée, après une enfance en bord de Loire, l’auteur connaît la vie secrète de ces bancs de sable, de ces remous vertigineux et dangereux. Alors, dans le silence de ces pages, avec souvent des images panoramiques qui se superposent les unes au-dessus des autres, il nous invite à écouter le murmure du fleuve. À l’aimer comme Louis et les autres ont aimé Agathe. Il nous la montre comme seul un amant peut la décrire. Langoureuse et tendre au petit matin quand les étoiles ont fui le firmament. Exigeante et remuante, désireuse, quand Louis la pénètre à la nuit tombante. Jaune et orangée quand le jour s’achève, vaincu et épuisé. Les aquarelles de Davodeau lui déclament un magnifique chant d’amour.
Dans Le Droit du Sol, son ouvrage précédent, le dessinateur racontait son périple pédestre de 800 km entre les grottes rupestres de Pech Merle et les lieux d’enfouissement des déchets radioactifs dans la Meuse. Il disait notre responsabilité dans la destruction possible de notre planète. Avec Loire, en utilisant cette fois-ci la fiction, il prolonge son combat écologique mais en utilisant le récit de l’intime et en vantant la beauté de notre Terre. Il est tout aussi efficace.
Si à votre tour vous avez envie de retrouver Agathe, sa présence, sa mémoire ou ses cendres, allez faire un petit tour entre Savennières et Rochefort, du côté de Béhuard peut-être. Si elle n’y est pas ce n’est pas grave. Loire est là. Elle n’a pas besoin d’article défini devant elle. Elle se suffit à elle-même.
Loire d’Étienne Davodeau. Éditions Futuropolis. 104 pages. Parution : 4 octobre 2023. 19€.
Retrouvez Étienne Davodeau avec Serge Joncour samedi 3 février à 14 h dans l’auditorium des Champs Libres, « En harmonie avec le vivant ».