Europe 1 : “On planque les enfants” — Malaise profond autour du retour de Jean-Marc Morandini

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europe 1 morandini

Il y a des phrases qui claquent comme un aveu. Celle-ci : « On planque les enfants. » Ce sont les mots qu’un salarié d’Europe 1 a utilisés pour résumer, avec une amertume désabusée, la situation ubuesque vécue ces derniers jours dans les couloirs de la station. Depuis le retour à l’antenne de Jean-Marc Morandini — condamné en 2022 à un an de prison avec sursis pour corruption de mineur — Europe 1 a été contrainte de prendre des mesures radicales pour éviter que les stagiaires de seconde présents dans les locaux ne croisent l’animateur.

Alors que l’ancien présentateur de Crimes a retrouvé la tranche horaire de 16h à 18h, remplaçant temporairement Cyril Hanouna, la direction d’Europe 1 a dû adapter en urgence la logistique interne. En clair : les stagiaires — parfois âgés de 14 ou 15 ans — ont été isolés dans un étage à part, parfois relégués au sous-solprivés de cantine ou de certains bureaux pour éviter tout contact avec le chroniqueur. Ce dispositif, révélé par Mediapart soulève une question brutale : comment une entreprise médiatique peut-elle continuer de collaborer avec une personne condamnée, au point d’aménager ses locaux pour cacher les mineurs ?

Un paradoxe criant

Le malaise est profond, au sein même de la rédaction. Officiellement, Europe 1 se borne à appliquer la décision judiciaire : Morandini n’a pas le droit d’exercer une profession l’amenant à être en contact avec des mineurs, sans pour autant lui interdire toute activité professionnelle. Juridiquement, la station serait donc dans les clous. Mais moralement ? Éthiquement ? Socialement ? Le dispositif mis en place, censé protéger les lycéens, révèle une vérité encore plus dérangeante : c’est aux mineurs de s’adapter, de se cacher, de disparaître. Pas à l’homme condamné de se retirer.

« On planque les enfants, mais pas les délinquants sexuels », résume un autre témoin de l’affaire. La formule fait froid dans le dos, tant elle inverse les logiques de protection et de responsabilité.

Le poids de Bolloré, le silence d’Europe 1

Depuis son rachat par le groupe Vivendi, la station Europe 1 a vu son indépendance éditoriale se réduire. La ligne Bolloré, déjà omniprésente sur CNews et C8, imprègne désormais la programmation de la radio. Le retour de Morandini, malgré sa condamnation et les polémiques à répétition, semble s’inscrire dans cette stratégie de polarisation médiatique, où le scandale fait audience, et où la provocation fait modèle économique.

Dans ce contexte, la présence de lycéens en stage devient un problème secondaire, presque un détail logistique. Aucun communiqué officiel n’a été publié pour expliquer ou justifier les aménagements. Pas un mot non plus sur la gêne ressentie par les jeunes stagiaires, ni sur les effets potentiellement délétères de leur isolement forcé.

Une société à l’envers ?

Cette affaire est révélatrice d’une société où la réhabilitation des puissants semble aller de soi, alors que la protection des plus vulnérables reste sujette à condition. Elle interroge profondément sur ce qu’on tolère, ce qu’on accepte, ce qu’on préfère ignorer. Que dit cette situation aux jeunes en stage, qui découvrent le monde professionnel à travers une entreprise qui les cache plutôt que d’interroger ses choix ?

En somme, Europe 1 n’a pas seulement relancé Jean-Marc Morandini à l’antenne. Elle a surtout, consciemment ou non, validé un système dans lequel le confort d’un condamné peut primer sur la sécurité de mineurs.

L’affaire provoque une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et dans la presse. Certains réclament la démission de responsables de la chaîne, d’autres appellent à une intervention du CSA (l’Arcom), voire à une mobilisation citoyenne pour exiger le respect des principes fondamentaux du service public médiatique.