Avec la parution du cinquième volume de l’Atlas des régions naturelles, Nelly Monnier et Eric Tabuchi poursuivent leur étourdissante ambition d’élaborer une représentation contemporaine de la France.
Dans une approche aussi subjective qu’organisée, ils ne s’attachent pas plus au beau qu’au laid, et nous font perpétuellement douter de l’existence d’une frontière entre ces deux notions et de la pertinence du jugement de classe qui les sous-tendent. Paysages naturels, constructions traditionnelles, initiatives vernaculaires ou personnelles, habitations, commerces, il y a de l’humour souvent, de la poésie parfois, chez les bâtisseurs comme chez les observateurs. Le banal et l’exceptionnel se conjuguent pour énoncer l’identité de ces régions naturelles. Elle peut être marquée ou plus trouble à l’image des délimitations géographiques de ces régions aux tracés estompés par la modernité administrative, mais elle se dessine à qui veut la trouver, trempée dans la roche, la tôle, le gazon et la typographie.
Composé de 384 pages, L’Atlas des Régions Naturelles Vol.5 rassemble 16 chapitres, 12 régions naturelles : l’Auxois, la Basse Marche, le Bessin, le Bocage bourbonnais, la Champagne pouilleuse, le Lavedan, le Marais Breton, les Monts Dore, le Pilat, le Porhoët, le Segréen, le Vermandois; 4 cahiers thématiques : 2000, Portails et clôtures, Vingt-six stations abandonnées… et l’itinéraire Orient-Express. (Atlas des Régions Naturelles Vol.5, Nelly Monnier et Eric Tabuchi, COÉDITION POURSUITE & GWINZEGAL, ISBN 978 2 490140 52 7. Prix : 39 €
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L’exposition photographique L’invention d’une histoire vraie se déroulait en 2022 au Centre d’Art GwinZegal de Guingamp, installé dans la prison magnifiquement restaurée. Ce fut l’opportunité de découvrir ce lieu atypique et le travail des photographes Nelly Monnier et Eric Tabuchi qui remettent à l’honneur le paysage français. Leur exploration comporte déjà plus de 12 000 images, devrait se poursuivre jusqu’à 2032 et faire l’objet de la publication de 30 livres.
Voilà près de 8 ans qu’Eric Tabuchi et Nelly Monnier se sont donné la mission folle de photographier les 450 régions naturelles de l’Hexagone. Grandes de quelques dizaines de kilomètres, ces entités géographiques et culturelles ont des dimensions et une granularité appréhendables par l’homme. Au cœur de leur exploration, les deux artistes s’attachent à nos manières d’investir le paysage, de l’habiter, de le façonner. Les routes, les habitations, les commerces, les initiatives individuelles de construction, la typographie des enseignes, les noms des villages : ils traquent à la fois les invariants, les choses typiques et les écarts à la norme − qui, croisés, définissent une physionomie de nos modes de vies et de nos identités.
D’autres avant eux se sont essayés à l’analyse de cette littérature du paysage. Eugène Atget ou Walker Evans, ont partagé la même passion pour la poésie de ces objets architecturaux ordinaires, autrefois jugés « indignes » : la ponctuation des fenêtres, des vitrines ou des enseignes est porteuse de récits, d’imaginaire et d’informations. L’ombre d’autres projets individuels plane sur l’Atlas des régions naturelles ; August Sander, dans sa tentative de faire le portrait de l’homme du XXe siècle, semble porté par la même naïveté et la même démesure.
Le désir de Nelly Monnier et Eric Tabuchi de dresser en tandem un portrait en 22 000 images de la France, territoire de plus 500 000 km2 tient de la folie sinon de l’utopie. À l’ivresse de la vitesse de notre époque, Nelly Monnier et Eric Tabuchi opposent l’éloge de la lenteur et des petites routes. C’est dans une petite automobile, à vitesse réduite, qu’ils sillonnent discrètement le paysage, ponctuant cet atlas imaginaire d’innombrables arrêts. On y découvre un catalogue des manières de vivre et de construire où le sublime jouxte le ridicule. Le parpaing, la brique, l’ardoise, la tôle ou la tuile nous disent autant la mondialisation que la volonté individuelle d’habiter le monde et d’exister de manière singulière. Leur regard est frontal, le ciel souvent couvert n’est pas là pour afficher une forme de déprime d’un monde en crise, mais pour tenter de le représenter dans l’étendue la plus large de ses détails et de ses nuances.
La somme des images de ce projet en cours est encyclopédique. Mais l’entreprise de cet inventaire n’est pas scientifique : il est comme un animal qui se nourrit et évolue de ses découvertes, et s’il paraît parfois moqueur, c’est pourtant avec une certaine tendresse qu’il nous engage à scruter enfin ces paysages que nous avons tellement vus, mais si peu regardés.
GwinZegal et les éditions Poursuite s’associent pour éditer à l’occasion de cette exposition le premier volume, annonciateur d’une longue série, de l’Atlas des Régions Naturelles d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier.