Le service culturel de l’université Rennes 2 présente l’exposition Transbordeuses de Marjorie Gosset, du 20 mars au 27 juin 2025. Entre images d’archive et portraits, la photographe écrit une histoire oubliée : la première grève féminine en France.
Comme le souligne poétiquement Marjorie Gosset au détour de son entretien avec Unidivers, un ange gardien semble l’avoir accompagnée et guidé sur les bons chemins, à la rencontre des bonnes personnes. Sur la route, elle a trouvé cette discipline qui était sans qu’elle s’en aperçoive omniprésente dans sa vie. Formée aux arts graphiques – BTS en Imprimerie, études d’Histoire de l’art, diplôme de directrice artistique -, Marjorie a toujours été sensible aux images. Bien qu’elle ait une pratique photographique personnelle, la photo est venue à elle, professionnellement parlant, seulement en 2019. « C’était presque nécessaire, j’avais besoin de faire des images. »

Sa participation à un workshop d’une semaine aux Rencontres d’Arles, sous la direction de Claudine Doury, lui a révélé ce qu’au fond, peut-être, elle savait déjà. « Je me suis prise une claque monumentale », dit-elle honnêtement. « Pour moi, c’est elle [Claudine Doury] qui m’a fait naître photographe. » Aux côtés de sa « maman de la photo », comme elle aime l’appeler, elle suit par la suite une formation de neuf mois à l’Agence VU. C’est durant cette période qu’elle réalise sa première série de photographies, intitulée Ino. Elle trace les premières lignes d’une écriture où prévaut l’instinct et qui traduit son regard sur l’environnement. « La suite de mon travail a été plus ancrée dans le réel, notamment avec Transbordeuses. »
Si l’humain et la nature tiennent une place importante dans sa pratique, les séries Inô et Pyrène révèlent aussi son goût pour l’histoire, la mythologie et le mysticisme. « Je ne m’en étais pas rendu compte au départ, mais ce qui est au centre de tout, c’est la figure féminine. » Dans un écho à son parcours personnel en tant que femme, Ino raconte l’histoire de la déesse de Embruns qui vient sauver Ulysse de la colère de Poséidon. De même, Pyrène parle d’un amour tragique et d’acceptation. « Tout photographe a sa sensibilité. On va vers ce qui nous touche. On a notre expérience de vie et, inconsciemment, l’envie de partager à travers notre prisme personnel. » La série Transbordeuses est née entre ses deux projets et crée un pont entre son écriture photographique initiale et ce vers quoi elle tend, avec toujours la présence de la condition féminine. « Cette série, c’est la volonté de dire « non, stop » et de comprendre qu’on a le pouvoir d’arrêter les choses », exprime-t-elle.


Marjorie rencontre les premières femmes de Cerbère en 2020, alors qu’elle est en Occitanie pour un atelier photo. La référence au chien gardien des Enfers l’attire dans la commune à la frontière franco-espagnole et, au détour d’une balade, elle découvre une statue de transbordeuses. En 1906, un groupe de travailleuses, appelées les transbordeuses, s’allonge sur les rails en signe de protestation. Elles transportent des marchandises entre l’Espagne et la France et réclament une augmentation de 25 centimes. Prêtes à risquer leur vie, elles tentent d’obtenir gain de cause. C’est la première grève de femmes en France.
La photographe, qui voulait se lancer dans le portrait, se confronte à l’humain pour la première fois et retourne sur place en octobre de la même année. Elle rencontre Jacqueline qui la présente à ses copines. Marjorie apprend tout de cette histoire oubliée. « Dans des projets au long court, j’ai besoin de passer du temps avec les personnes que je vais photographier, de partager quelque chose pour faire des portraits qui ressemblent le plus possible aux personnes. » Elle retournera six fois à Cerbère au total. « Je l’ai compris deux ou trois ans plus tard, mais c’était une excuse pour passer du temps avec ces femmes, pour échanger et écouter des histoires, transmettre aussi. »




Dans cette série, images d’archives et portraits tirent en effet le fil de la transmission. Un fil d’Ariane qui la guide vers la suite de son cheminement artistique où émerge de la poésie de ses images une dimension documentaire. Marjorie Gosset se place en passeuse de mémoires et raconte l’existence de ces Cerbériennes qui portent en elle cet héritage fort et cette force féminine qui existe depuis longtemps. « Toutes les femmes que j’ai rencontrées ne sont pas transbordeuses, petites-filles ou filles de transbordeuses, mais elles ont hérité de cet esprit révolutionnaire, de ces histoires », déclare Marjorie. « C’est incroyable que des femmes, à cette époque-là, utilisent leur corps pour stopper une économie. Elles n’en étaient pas conscientes sur le coup, mais elles ont compris qu’en arrêtant, elles avaient pris le pouvoir. » Comme Pénélope Bagieu dans les bandes dessinées devenues cultes Culottées, Marjorie Gosset remet en lumière une mémoire oubliée, que peu de personnes connaît.
La série réunit aussi des images plus minérales et abstraites qui sont aux origines de sa photographie. En résulte un ensemble « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les photographes tendent vers les images d’auteur, le mélange de documentaire avec un aspect plus esthétique. »

Transbordeuses a marqué un tournant dans son travail. « Elle est devenue la série qui me permet de montrer que je suis capable de travailler jusqu’à la réalisation d’un livre. » Son nouveau projet en cours, qui n’en est encore qu’à l’étape des demandes de subventions, sera dans la même veine et aura pour géographie… La Bretagne. La rédaction a hâte d’en savoir plus…
À l’occasion du vernissage, une personne des éditions Hartpon serra présente pour que le public puisse acheter le livre Transbordeuses (30€). Une séance de dédicace aura aussi lieu.