Dans le cadre du projet « Corps et Espaces sensibles », Thierry Micouin et Pauline Boyer ont présenté dimanche 16 septembre 2018, dans les jardins du domaine de Kerguéhennec, leur dernière collaboration, la pièce chorégraphique Faille. Profondément enracinée dans l’œuvre du peintre Pierre Tal Coat dont le travail est très présent au sein du domaine, Faille est un voyage sonore et visuel qui nous transporte du vivant et du concret à une danse très abstraite et belle. Dans le même cadre, une deuxième représentation de Faille est prévue le 30 septembre 2018 sur un autre site, les dunes de Kerver de Saint-Gildas de Rhuys.
Créé dans le cadre du projet « Corps et Espaces sensibles » pour lequel quatre sites sensibles du Morbihan proposent aux artistes de construire une expérience, un dialogue sensible avec les espaces naturels du département, Faille est l’occasion de se réjouir de la collaboration entre Pauline Boyer et Thierry Micouin. Celle-ci a commencé en 2014, les deux artistes ont créé Double Jack, Synapse et Backline. Thierry Micouin crée les chorégraphies et Pauline Boyer les dispositifs sonores et scéniques.
Le rapport à la nature étant au centre du projet présent, il était logique que Pauline Boyer et Thierry Micouin renforcent l’utilisation de la suite de Fibonacci qu’ils avaient déjà mis en place pour Backline sur une partie du dispositif. Thierry Micouin, qui dans ses pièces précédentes utilise volontiers des gestes narratifs s’inscrivant totalement dans la danse contemporaine, rend hommage avec Faille au travail de Pierre Tal Coat. Ainsi les gestes de Faille sont inspirés par la position des corps des toiles du peintre. Ces positions ont quelque chose d’anti naturel, car Pierre Tal Coat a toujours voulu représenter la venue du mouvement à lui.et non le mouvement lui-même. « Je serais plutôt fait par la ligne que moi je ne fais la ligne », disait-il. C’est précisément l’objet de Faille, non pas de représenter naïvement la nature, mais plutôt le chemin subtil, les mouvements qui précèdent l’éveil à la sensation.
Les corps hyper stylisés sont comme suspendus dans l’espace, ils sont parfois représentés dans des positions obliques comme interrompus dans une chute. Les corps des danseurs Marie-Laure Cadarec et Thierry Micouin révèlent des espaces qui se juxtaposent dans la marche puis se rencontrent dans l’arrêt de ces corps dans ces stations obliques. Puis c’est une marche complètement artificielle qui se met en place, une marche qui fut décrite comme étant celle empruntée par le peintre lorsqu’il se préparait à travailler. Pierre Tal Coat se promenait alors en pliant les jambes de façon à ce que le haut de son corps soit vingt à trente centimètres plus bas que la normale.
Pour Faille, la danse est très comptée. C’est à dessein que Thierry Micouin met en place cette pratique qui n’est plus utilisée dans la danse contemporaine actuelle et encore moins dans celle du chorégraphe. Le décalage est renforcé par le cadre idyllique du domaine de Kerguéhennec où la nature est certes domptée dans son enceinte, mais libre tout autour de ses limites, libre et ouvrant au sensible. Le sentiment d’étrangeté intensifie l’abstraction et la réflexion à laquelle la danse convie celui qui la partage en la regardant. Les corps fondent, tombent, tentent des envolées qui n’aboutissent pas. Mais si les pièces chorégraphiques de Thierry Micouin sont toujours teintées de la cruauté de notre monde contemporain, ce n’est pas une lente descente aux enfers à laquelle nous sommes conviés, mais bien une invitation toujours renouvelée à la résistance par le sensible, à la beauté de ce même monde.
En parallèle, Pauline Boyer diffuse des sons qu’elle a collectés : les sons amplifiés d’une clôture électrique, des oiseaux (on est amusé de se rendre compte au bout de quelques minutes que ce ne sont pas ceux des arbres aux alentours, mais bien des sons enregistrés) ; le voyage sonore se poursuit par une oscillation de sons identifiables et d’autres, plus énigmatiques. Des cliquetis métalliques ou de pierres, des bruits d’eau qui s’écoule sont suivis d’aboiements de chiens (enregistrés dans un chenil situé au milieu de la forêt non loin du domaine), puis de distorsions (qui sont en fait ceux des éoliennes que l’on peut croiser en chemin, le long de la route nationale qui mène au domaine). La conjugaison de ces plages sonores avec la danse engendre une dynamique particulièrement évocatrice des perceptions qui nous parcourent lorsque l’on s’immerge dans un espace naturel. Les sons vont du concret à l’énigmatique quand l’œil du spectateur tente de trouver une lecture de l’accumulation des gestes des danseurs qui rappellent par certains aspects les Accumulations de Trisha Brown.
C’est tout l’art du trio formé avec Marie-Laure Caradec dont on sent l’osmose dans Faille, révéler l’odyssée qui opère en chacun de nous
À noter : Pauline Boyer a créé un site où chacun pourra faire revivre tous les sons qu’elle a collectés pendant la phase préparatoire de Faille :
Faille
Conception : Thierry Micouin et Pauline Boyer
Interprétation : Marie-Laure Caradec et Thierry Micouin
Musique/dispositif interactif : Pauline Boyer
Regard : Pénélope Parrau
Faille sera dansé le 30 septembre 2018 Dunes de Kerver à Saint-Gildas de Rhuys. Rendez-vous à 16h sur le parking de la plage de Kerver.