Street art à Rennes. La fresque politique et mordante de Father Fucker

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Father Fucker est de ces street-artistes rennais dont le travail militant constelle l’espace urbain depuis près de trois ans. Nourri par les valeurs historiques du street art, ses collages grandeur nature représentent autant d’actions coup de poing que la société compte d’injustices et d’inégalités sociales. Rencontre avec un de nos artistes de rue du cru, tout anonymat conservé bien entendu. 

Father Fucker. Homme militant passionné dans ses mots, artiste engagé dans ses images. Ses collages sur les murs et les façades de Rennes suscitent tant l’approbation que la protestation, mais quoi qu’on en pense, leur format grandeur nature attire notre regard et leur contenu incisif impacte nos esprits, à l’instar des publicités placardées dans l’espace public. Nourri par l’essence du milieu graffiti, l’artiste donne à regarder le monde politique, une mise en scène des personnalités politiques françaises avec humour et poigne : Gérald Darmanin, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne en tête. 

father fucker rennes
© Father Fucker

Quand on connaît le travail militant et sarcastique à souhait de Father Fucker, le rencontrer un jour de grève contre la réforme des retraites, la 10e journée de mobilisation précisément (mardi 28 mars 2023), prend tout son sens. Bercé par les voix des personnes rassemblées place de Bretagne, dans l’attente que le cortège avance, l’échange a cherché à lever le voile sur la pratique de cet homme inconnu, mais artiste en floraison à Rennes.

Avec un père artiste touche-à-tout, le salarié dans le social qu’il est devenu n’a pour autant pas mis de côté cette sensibilité artistique dans laquelle il baigne depuis qu’il est jeune. Father Fucker dessinait quand les heures de cours lui paraissaient trop longues, mais l’art est arrivé bien plus tard dans sa vie. « J’ai eu plusieurs vies. J’étais un activiste dans plusieurs mouvements avant d’avoir des enfants. J’ouvrais des squats pour les sans abri ou les sans papiers », donne comme exemple l’artiste, activiste dans sa chair et dans son âme. À la vie d’activiste, il a néanmoins préféré celle de famille à la naissance de son premier enfant, tout en restant militant la nuit. Conscient de la scène street-art à Rennes sans en connaître les détails, il apprécie rapidement le geste illégal de coller sur les murs de sa ville ses idées et pensées et se prend au jeu. « Le street art, c’est une autre forme d’activisme. Je suis en congé paternité indéterminé, mais j’y retournerai. » 

Ses créations posées à des endroits stratégiques nous accompagnent depuis 2020 au quotidien, dès l’instant où notre regard s’attarde sur un de ses collages. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a commencé à coller. Pas pour nous, mais pour ses enfants. « Mon père est mort un an avant la naissance de mon fils. Je voulais qu’il puisse voir son grand-père dans l’espace public alors j’ai commencé à coller sa photo. » Un de ses premiers collages prend possession d’une partie de la façade au-dessus du magasin Biocoop rue Papu. Vieilli par le temps, il est néanmoins toujours présent et d’autres graffeurs se sont ajoutés à la composition. 

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Le collage devient son medium de prédilection et la photographie de son paternel devient sa signature, un visage qui accompagne chaque création. Tout au long de son histoire, l’Art Urbain a permis de faire passer des messages forts, Father Fucker met les siens sur les murs de sa ville. « J’aime le travail de Banksy ou plus généralement des artistes dont le concept est de poser un regard critique, parfois marrant, sur la société. Il y a aussi JR qui vient des quartiers et fait dans le monumental ». Et plus c’est grand, plus la visibilité est importante, et plus Father Fucker s’amuse. « De loin, on peut même penser que ce sont de vraies personnes, c’est en se rapprochant qu’on voit que c’est un collage », déclare-t-il.

Ses images politiques tant acerbes qu’humoristiques, collées en hauteur de préférence, s’inscrivent dans les origines du street art, univers engagé qui s’est réapproprié la ville à la fin des années 60, transgressives et revendicatives. Récemment, le ministre de l’Intérieur a été malicieusement mis en scène en cowboy, arme à la main, à la veille de la manifestation pour les sans papiers et contre les violences policières. La cause palestinienne compte aussi parmi les sujets qui lui tiennent à cœur, mais il ne crée pas seulement autour de thématiques politiques. Il pense également des images qui l’amusent, mais elles sont toujours accompagnées de jeux de mots grinçants ou de répliques teintées d’humour noir. Au début de sa carrière de street-artiste, Jésus s’est par exemple invité sur une vitrine d’un local vide du mail Mitterrand. 

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C’est d’ailleurs pour cette raison que la reconnaissance du milieu de l’art institutionnel lui importe peu. Il pratique pour lui et ses enfants, pour que leur grand-père continue à veiller sur eux à chaque coin de rue. « Ma fille est petite, mais elle voit très bien qui c’est. Rien que pour ça, je continuerai tant que je pourrai. » Father Fucker préfère rester dans une liberté totale de création et suivre ses propres règles plutôt que celles d’institutions qui pourraient jouer les timorées quant à certains sujets qui ne se révéleraient pas politiquement corrects. « Notre vie est déjà conditionnée par des règles, je ne veux pas en rajouter. » Pour autant, il comprend les artistes qui veulent cette reconnaissance. « Mais quand le street art est commercial, ça ne correspond pas du tout à mes idées et mes valeurs », en donnant l’exemple de l’agence Blot dont les planches en bois pour sécuriser la boutique ont été repeintes par un street artiste reconnu, pour que le travail ne soit pas abîmé… « La Ville de Rennes se targue d’être la ville du street art, mais il y a le bon, celui de War par exemple qui est accepté, et le mauvais, celui qui dérange et qu’on enlève parce qu’on ne veut pas salir l’image de la ville. »

Cependant, Father Fucker reste ouvert à la vente d’œuvres si cette dernière s’inscrit dans une cause qu’il soutient. Des artistes se sont récemment réunis dans le but de vendre des créations dont la vente alimenterait la caisse de grève pour aider les grévistes

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© Father Fucker

Suivant les préceptes du monde du street art, les messages politiques de Father Fucker s’acoquinent parfois avec ceux d’autres artistes, du même bord social et politique. Il a notamment créé le groupe d’artistes très politisé Les Murs Râlent avec Michto et ses stickers punk à l’arrache, le collagiste Alexandre Bouchon et son slip de Superman, Les Graffs du justicier et ses pochoirs enragés et la graffeuse Kim. Une de leurs dernières collaborations : sur la vitrine d’une ancienne boucherie, le crew a recréé une boucherie en abordant le thème des droits sociaux. Alexandre Bouchon s’est occupé du fond de boucherie, Father Fucker de Borne et Macron en bouchers et Les Graffs du justicier de son emblématique homme à la tête de porc. 

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© Father Fucker

Dans cet univers vandal duquel Father Fucker ne souhaite pas sortir, l’artiste a remarqué la présence de plus en plus forte de collages, comme les collages féministes ou autres messages politiques, symbole de positions fortes. « Le collage, c’est le message qu’on nous oblige à regarder, comme les publicités. Notre regard est attiré parce qu’elles s’imposent à nous », explique Father Fucker. « Mettre ces messages politiques signifie qu’on impose aussi notre style, on montre qu’on est là et qu’on a des choses à dire. S’ils sont retirés ou repeints, c’est pas grave, on reviendra. Ce n’est pas parce qu’ils ont décidé que nous n’avons pas la parole que nous ne l’aurons pas. C‘est important de continuer à le faire. »

Et Father Fucker compte bien continuer ce geste politique autant qu’il le pourra. Il continuera à diffuser sa “poésie démocratique”, pour reprendre les mots de la pionnière Miss Tic, aux quatre coins de la ville et d’accompagner les Rennais même si c’est en toute illégalité.

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