Mythos à Rennes avec Mael le Goff, un festival de paroles qui nous est cher

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À Rennes Mythos, le festival des arts de la parole, c’est du 7 au 12 avril 2015. Comment résumer l’esprit qui préside à cette manifestation ? D’emblée, en soulignant que les arts de la parole sont censés rimer avec libération de la parole. Un élément essentiel dans le devenir vivifiant d’une démocratie locale et nationale, en particulier quand elle vient d’être endeuillée. Or, cette année promet d’être exceptionnelle, à en croire l’éditorial qui introduit à la une le programme du festival Mythos 2015.

(NDLR : Maël Le Goff et sa gestion ont été épinglés par la Chambre régionale des comptes le 18 mars 2021. Le rapport est consultable ici en ligne)

Il est légitimement rédigé par Mael le Goff, un acteur culturel proche d’Emmanuel Couet (maire de Saint-Jacques-de-la-Lande et puissant président de Rennes Métropole) qui lui a confié les clés de l’Aire libre en 2012. Etant également aux commandes du Centre de production des paroles contemporaines qui organise Mythos, un festival efficacement subventionné par les élus rennais (voire notre présentation plus bas), on aurait pu craindre que Mael le Goff verse dans cette mytheuse langue de bois – artifice de parole nourri de léchage de bottes – qui caractérise trop souvent la communication politique rennaise ainsi que le remerciement des vassaux aux seigneurs. Que nenni !

Au contraire, avec une maturité critique digne des chansons les plus engagées de Patrick Bruel, Mael le Goff livre une charge enflammée d’une rare audace subversive contre « Mesdames messieurs les tout-puissants, mesdames messieurs les présidents…» Le directeur de Mythos dénonce pêle-mêle « la bêtise, l’ironie, la cupidité et l’orgueil » des tout-puissants et des présidents, élus (comme François Hollande) ou non (comme Emmanuel Couet, élu par d’autres élus). Une dénonciation qui inclut ipso facto le clientélisme et le favoritisme (qui tous deux étouffent les énergies créatrices du territoire afin que continuent à dominer des associations privilégiées – associations plus ou moins utiles, mais financées par le pouvoir politique dominant avec pour véritable objectif d’être des relais électoralistes).

Alors qu’une situation nationale dramatique entraîne des amputations budgétaires violentes, la culture s’affirme plus que jamais une dimension essentielle dans la réalisation d’une vie individuelle et collective. Dès lors, il est grand temps de réfléchir à l’efficacité des moyens dans l’attribution des subventions. Notamment à travers trois versants (non-exhaustifs) : l’argent public revient-il au public ? Les subventions sont-elles justifiées par un bénéfice en matière de vie, de bien-être, d’épanouissement collectifs, civiques, politiques, philosophiques, artistiques et spirituels des citoyens ? Quelles sont les retombées favorables pour le territoire, son attractivité et la mise en synergie de ses différents acteurs ?

Bien utilisé et réparti, l’argent public, même pour le moment réduit, est susceptible de devenir rapidement un levier d’enrichissement individuel et collectif pour la Métropole de Rennes comme la République française. Oui à la culture subventionnée pour tous, non à la captation d’argent public par des professionnels de l’abus et du clientélisme ! Et oui à l’obligation faite aux candidats à de “puissants” postes de direction politique et culturelle de posséder un minimum d’assise intellectuelle en sus d’une vision de leur mission !

Modèle d’attachement aux arts de la parole, l’association Unidivers, éditrice sans aucune subvention du Magazine culturel de Rennes, salue cette courageuse déclaration de Mael Le Goff. Quel réconfort alors que les États généraux de la Culture organisé par Benoit Careil débuteront quelques jours avant l’inauguration dudit festival avec pour objectif de tenter de débloquer la stagnation culturelle rennaise ! Avec Mael Le Goff, nul doute que le renouvellement de l’encadrement  intellectuel, associatif et politique de la ville de Rennes est désormais assuré ! Dans ce cadre et cet esprit (bien que le mot de culture n’y soit jamais cité), nous ne résistons pas à reproduire – émus et reconnaissants – cet éditorial culturel qui fait déjà date dans les annales. Et ceci n’est pas une régression.

«  CECI N’EST PAS UN ÉDITO

Pourquoi faire… des enfants ?

Mesdames messieurs les présidents,
mesdames messieurs les tout-puissants,
Pourquoi faire des enfants ?
Pourquoi faire des enfants ?
Pour dire le monde autrement, pour raconter encore… Pour célébrer, pour aimer au présent !

Mesdames messieurs les présidents,

mesdames messieurs savez-vous seulement…
Qu’à tout renier, qu’à tout spolier, qu’à tout fuir…
On ne se reconnaît plus vraiment !

Comment y croire ? Dites-le moi, comment ?
À ce que vous montrez à voir,
À ce que vous “disez”,
À ce que vous voulez léguer comme société !
Le monde ne tourne pas rond et vous l’avez vrillé.
Réveillez-vous ! Réveillez-vous maintenant…

La culture, l’art, le jeu, le rire, la musique sont le propre de l’homme… et à force de l’oublier, nous en venons à envier les animaux et les arbres qui continuent, eux, à vivre librement, à sentir la force de toute chose, à se blottir, ingénus, dans la grande roue du temps, inconscients mais prescients que l’Existence ne vaut pas la Vie et qu’ils appartiennent à quelque chose de bien plus grand.
Alors quand l’argent aura tout détruit, que le pouvoir aura tout sali, que les sources seront taries, et qu’il ne restera plus que quelques-uns de nos enfants… Il sera trop tard pour comprendre là où la bêtise, l’ironie, la cupidité et l’orgueil nous aurons conduits.

Écoutez, mais écoutez vraiment… ce que disent Stromae, Morel, Murat, Bonnaffé, Les Cowboys Fringuants… et tous les autres… ces bouffons singuliers, garde-fous d’une humanité à la dérive sans plus ni boussole ni astre scintillant !!! Écoutez-les, mais écoutez-les vraiment !

Je ne vous blâme pas, je ne vous aime pas, je ne vous déteste pas… Je n’ai pas de temps pour ça…
Je veux me battre pour que nos enfants soient fiers et debouts, qu’ils se regardent, se respectent, dans leurs différences et sans tabous…
Je vous supplie, moi l’incroyant, d’ouvrir ce qu’il vous reste d’yeux, de rêver, de rire, de danser, de pleurer… Un instant. J’ai peur de demain, j’ai hâte à maintenant, je vous hais, je vous admire, je ne vous confie pas mes enfants !

Mesdames messieurs les tout-puissants, mesdames messieurs les présidents… Oui c’est à vous que je parle, réveillez-vous maintenant.

 Mael Le Goff  »

mael le goff

Note sous forme d’addenda :

L’association Paroles Traverses a été créée en octobre 1997 à l’Université de Rennes 2 par Mael Le Goff (âgé de 23 ans à cette époque). Elle a pour objet d’organiser Le festival Mythos qui est né l’année précédente. Paroles Traverses est domiciliée au 57, quai de la Prévalaye à Rennes, mais l’équipe et ses activités se trouvent depuis deux ans au Théâtre de l’Aire libre de Saint-Jacques.

L’association est depuis plusieurs années dirigée par Sandrine Debray-Breton. Comme elle nous l’a expliqué – lors d’un récent entretien en sa compagnie et celle de Mael Le Goff que notre insistance argumentée nous a permis d’obtenir – son manque certain d’expérience en gestion administrative et artistique est compensé par une longue amitié avec Mael Le Goff. On se réjouira de cette complicité entre une présidente et un directeur : le minimum souhaitable pour présider une entité riche d’un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 million d’euros.

Plus précisément, les deux directeurs de Paroles traverses sont Mael Le Goff et son amie Emilie Audren(*).

En outre, Mael Le Goff est le propriétaire unique de la société Ici Même production. Une entreprise dont l’activité est quasiment la même que ladite association : la production, promotion et diffusion de spectacles (chiffre d’affaires 2012 :  855 500 € ; résultat d’exploitation 189 989 € résultat net : –  30 500 €). Elle a été créée en 2002. Elle emploie 8 à 9 personnes(**).

Depuis janvier 2004, Paroles Traverses et Ici Même Production partagent les mêmes bureaux au 57 quai de la Prévalaye. Le gain est évident pour les deux entités : la mutualisation de la location, du mobilier, des différents moyens de gestion, exploitation et production fait baisser les coûts. Toutefois, il convient d’être vigilant sur qui paie quoi. D’autant plus que Mael Le Goff nous a confirmé que sa société a facturé des prestations à l’association subventionnée. Certes, avec un brin de connivence, cette union libre a bien fonctionné durant des années. Bien que certains Rennais, élus notamment, aient pu trouver cette situation embarrassante.

En juillet 2012, c’est Mael le Goff et son association qui sont retenus par le maire de Saint-Jacques, Emmanuel Couet, pour prendre la direction du théâtre l’Aire libre. Il était plus que temps de mettre fin à une situation qui aurait pu être taxée de conflits d’intérêts ou, plutôt, de trop grande convergence d’intérêts(***).

26 avril 2013, après 10 ans d’union libre, le mariage est scellé. La société Ici même et l’association Paroles Traverses ont définitivement officialisée l’union de leurs projets et moyens pour ne faire plus qu’une seule entité associative. Dans le cadre de cette fusion entre une société et une association, Ici Même-Paroles Traverses est alors rebaptisé le Centre de production des paroles contemporaines (CPPC). En pratique, l’association a racheté à Mael Le Goff sa société – précisément : le fonds de commerce et l’enseigne Ici même production – pour une valeur de 60 000 euros.

La société de Mael Le Goff ayant été rachetée par l’association dirigée par Mael Le Goff, cette première a donc disparu au printemps 2013. En fait, non. La société existe toujours bel et bien, avec le même numéro de Siren, mais sous la nouvelle appellation de Bla Bla Bla. Depuis décembre 2014, le gérant non associé de Bla Bla Bla est Danielle Bréault Le Goff (mère de Mael, productrice de décors et membre du Conseil d’Administration du CPPC) ; l’entreprise est toujours domiciliée au 57, quai de la Prévalaye. Étonnante situation d’une société qui continue d’exister sous un autre nom alors qu’elle a été rachetée.

Mais quelles sont les activités de cette association CPPC qui a « fusionné » une entreprise commerciale et une association subventionnée ? Elles sont de trois ordres : l’organisation du festival Mythos ; l’accompagnement artistique d’une dizaine de compagnies ; la gestion en délégation de service public du Théâtre L’Aire libre (collectivité locale à caractère commercial spécialisée dans le secteur d’activité de la gestion de salles de spectacles).

Côté trésorerie, en 2013, Paroles Traverses a bénéficié à elle seule de 305 000 € de subventions directes en plus de 130 000 € en prestations offertes, soit près de 450 000 €. L’association s’étant vu confier, en sus de l’organisation du festival Mythos, la gestion du théâtre l’Aire libre par la municipalité de Saint-Jacques-de-la-Lande, le budget salarial a été multiplié par 2,5 entre 2012 et 2013 pour s’établir à 520 000 €. À ce propos, le salaire des cadres dirigeants n’est pas communiqué dans les audits du comptable KPMG. Après les salaires, la plus importante ligne de dépense est consacrée aux « Autres achats et charges externes » pour un montant de 505 000 €. Ce budget global de plus de 1 000 000 € est rendu possible grâce à une « production vendue de Biens et Services » pour un montant de 850 000 €. 850 000 € qui sont réglés par la diffusion de spectacles et la vente des tickets d’entrée (aux tarifs élevés au regard des autres festivals associatifs rennais) ainsi que par l’argent public des collectivités, notamment celles-là qui subventionnent l’association. En 2014, sous réserve de précision, les subventions se sont élevées à 500 000 €.

Ces dernières servent à de nombreuses choses, notamment à rémunérer les employés de l’association, mais aussi les artistes et intermittents du spectacle, ainsi qu’à loger les bureaux. Mais où est domicilié le CPPC ? Le CPPC – nom de la fusion de l’association Parole traverse et Ici même production – a ses activités et ses équipes installées à l’Aire libre ; un théâtre moderne qui comprend tout l’espace, les infrastructures et les commodités nécessaires. Dès lors, le CPPC ne devrait plus payer de loyer, comme il n’est plus domicilié au 57 quai de la Prévalaye – qui plus est, le festival est logé plus de 3 mois par an gratuitement au Théâtre de la Parcheminerie(****). Eh bien non. Non, car le siège social reste domicilié au 57 quai de la Prévalaye. Suggestion : pourquoi ne pas domicilier le siège social du CPPC là où sont situées ses activités réelles, autrement dit à l’Aire libre ? Cela aurait l’avantage de supprimer la dépense de loyer mensuel ; un gain non négligeable pour l’association, voire pour le contribuable.

Certes, le propriétaire des locaux du 57 quai de la Prévalaye aura sans doute un peu de mal à retrouver une autre association qui acceptera de partager les bureaux avec la société Bla Bla Bla comme ce fut le cas durant dix ans entre Ici Même et Paroles Traverses. Mais des arrangements sont toujours possibles avec un bailleur conciliant. C’est d’autant plus possible que ledit propriétaire se trouve être la Société Civile Immobilière Pierre angulaire. Une SCI qui appartient à Mael Le Goff et Emilie Audren. Alors, bla bla bla, c’est sûr que cela marchera !

(*) Inscrit comme directeur dans l’organigramme, Emmannuel Grange est davantage un responsable « mutualisé » de la « structure », comme l’atteste sa fiche de recrutement. « Paroles Traverses recrute un responsable de la Communication & Relations Publiques.
Contrat : CDI / Date limite : 1er novembre 2011 / Lieu : Rennes (35)

Mission : Au travers du festival Mythos, d’actions de médiation et de la diffusion (production d’un catalogue de 15 artistes), l’association Paroles Traverses et l’Eurl Ici Même Production oeuvrent au développement de projets artistiques dans le domaine des Arts de la Parole. Les deux entités ouvrent un poste mutualisé de Responsable de la Communication & des relations publiques. Au sein du Comité de direction de la structure, vous participerez à l’élaboration des stratégies de communication, de relations aux partenaires institutionnels et aux publics et serez garant(e) de leur bonne mise en œuvre. »

(**) Mael Le Goff bénéficie très tôt des conseils du producteur Olivier Poubelle. Ce dernier a créé dès 1992, à Guidel (Morbihan), chez ses parents Alain et Danielle Le Goff, la SARL L’autre Label, un label musical. Olivier Poubelle s’est fait connaître depuis avec Asterios Production, une société de tourneur de concerts d’artistes qui dirige en direct ou en Délégation de Service public plusieurs salles de concert. Asterios est une propriété de Le jardin imparfait, holding fondée par Olivier Poubelle. Le Jardin imparfait a été créé à l’origine sous forme de librairie à Rennes, son siège est toujours en activité au 3, rue Emile Souvestre (en 2013, son chiffre d’affaire était de 480 000 €, pour un résultat net de 422 000€ et des capitaux propres de 3 600 000 €). Alors que Mael Le Goff prenait la direction de l’Aire libre, il a été mandaté comme liquidateur de la première société d’Olivier Poubelle L’autre Label. La liquidation a eu lieu au mois de novembre 2014. Astérios ne produit et ne diffuse au départ que des spectacles de conteurs : Yannick Jaulin (qui vient d’être programmé à l’Aire Libre), Pépito Matéo, Henri Gougaud, Nacer Khémir et Alain Le Goff (père de Mael). Depuis, l’éventail s’est ouvert à différents artistes. Et le Festival Mythos programme, voire reprogramme, régulièrement ces artistes qui appartiennent à l’écurie d’Astérios production et tourneur.

(***) Mael Le Goff nous a précisé durant notre entretien que certains élus eux-mêmes trouvaient que cette « situation de proximité entre argent public et intérêts privés pourrait être mal interprétée. » – « En conflit d’intérêts, par exemple ? » – « Oui, en conflit d’intérêts notamment ». Nous avons contacté à ce propos la municipalité de Saint-Jacques-de-la-Lande. Malgré la promesse de la directrice de cabinet du maire, aucun élu n’a daigné rappeler notre magazine indépendant.

(****) Petit théâtre rennais devenu exemplaire de l’argent public mal utilisé. La Parcheminerie est une propriété privée gérée en SCOP par une salariée du TNB qui est l’épouse du directeur délégué du Théâtre national de Bretagne, Laurent Parigot. Le TNB verse à cette société un loyer mensuel de 2750 euros (2008) – voir le dossier du Mensuel de Rennes n°61 de septembre 2014 – tout en réservant l’utilisation du théâtre à des acteurs proches de la direction du TNB et, ce faisant, le condamnant à une sous-activité annuelle chronique. Ce qui est devenu un scandale difficile à étouffer devrait connaître une évolution notable au mois de mai 2015 : la mairie devrait reprendre la main sur la gestion de ce lieu afin de l’ouvrir toute l’année au grand nombre.

Mythos 2015 à Rennes avec Mael le Goff : un festival de paroles qui nous est cher. Mythos 2015, le festival des arts de la parole de Rennes, se déroule cette année du 7 au 12 avril 2015. Le programme et son éditorial sont téléchargeables ici.

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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