Feu! Chatterton, un Labyrinthe de faux pas et de vagues et beaux vertiges

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On a vu fleurir des louanges pour le quatrième album de Feu! Chatterton, mais aussi de nombreux fans un peu refroidis. Votre serviteur a pris sa lampe de poche pour se perdre dans ce Labyrinthe. Sans se faire attraper par le Minotaure.

Labyrinthe paraît le 12 septembre 2025, quatre ans après Palais d’argile. Le groupe a eu le temps de vivre ; de douter ; de se disperser ; de résider au Louvre ; de mettre en musique L’Affiche rouge devant la nation recueillie ; et de pleurer la mort de leur manager Jean-Philippe Allard, à qui est dédié le très endeuillé Mille vagues. Le disque sort sur leur propre label Universo Em Fogo. Il est distribué par Virgin. Treize titres, un peu plus d’une heure au compteur ; un son qui assume la pop électronique, la synthpop, les rythmes latins, les nappes chaudes de synthés ; sans renier le vieux fond chanson-rock à textes. Autrement dit, on n’est plus dans le romantisme fiévreux d’Ici le jour (a tout enseveli) ni dans le cri politique en haute résolution de Palais d’argile. On sent une volonté de simplifier les lignes ; d’arrondir les angles ; de faire circuler les chansons sur des autoroutes mélodiques où l’on croise autant la variété française que Tame Impala ou une rave techno lointaine.

Le disque s’ouvre sur Allons voir. Premier single ; premier malentendu. À sa sortie, beaucoup ont cru à une redite de Monde nouveau en plus lisse. Refrain très accessible ; montée lyrique balisée ; structure ultra efficace. Le temps de l’album, pourtant, le morceau se met à agir comme un petit sortilège. On se surprend à le fredonner ; à le maudire puis à le relancer ; à se dire que oui, parfois la simplicité est une arme de destruction massive contre le cynisme ambiant. Est-ce qu’on aurait aimé un peu plus de rugosité ? Oui. Est-ce que c’est un mauvais morceau ? Non. C’est un tube, au sens le plus littéral du terme. Autrement dit : un tuyau par lequel le reste de l’album se faufile jusque dans la tête.

Le problème – ou la richesse, selon comment je tourne mon tabouret – c’est ce qui vient ensuite.

Le labyrinthe, morceau-titre, s’aventure vers des textures electro-samba. On sent le groupe tenté par une danse contemporaine des tendances du moment. Tout n’est pas convaincant ; mais la prise de risque existe. Feu! Chatterton n’a jamais été un groupe de conservateurs. Ils testent ; hybrident ; flirtent avec des territoires qui ne sont pas « rock » au sens où l’entend le puriste de comptoir.

Vient alors Ce qu’on devient. Là, je perds un peu le fil. Le morceau semble lorgner vers une variété 80’s réhaussée ; quelque part entre un Voyage, voyage fantôme et un vieux tube princier de Monaco. C’est assumé ; clinquant ; parfois réjouissant si l’on accepte le kitsch. Mais la durée étirée ; la fausse fin ; le retour en mode rap ; la rallonge finale… trop pour moi. À force de vouloir être généreux, le groupe tire sur la corde jusqu’à la crispation.

À cause ou grâce et Baisse les armes renouent avec une veine plus proche de la grande chanson française. Arthur Teboul tente cette fameuse « simplification » à travers des mots de tous les jours ; un lyrisme moins baroque ; des images plus directes. Par instants, cela fonctionne très bien. Le balancement fragile de Baisse les armes, la chaleur des arrangements. À d’autres, on sent les formules un peu convenues. Comme si l’écriture hésitait entre le désir de clarté et la peur de banaliser.

Et puis, d’un coup, le groupe redevient celui qu’on aime depuis dix ans. Celui qui sait faire dialoguer électro moderne, guitares électriques, batterie habitée et chant possédé.

Cosmos song est un cas d’école. Tout y est. Ligne de basse qui roule ; batterie qui pousse ; montée d’intensité quasi trance ; voix qui plane sans s’évaporer. On sent poindre ce moment où l’on va enfin décoller pour de bon… et tombe alors un fade out sec qui coupe le sommet au moment même où il commençait à se dessiner. Erreur de montage ; geste esthétique ; caprice de studio ? On ne saura pas. Reste une frustration tenace. Pourquoi étirer à n’en plus finir les titres les moins inspirés et sabrer la chanson qui tenait enfin la bonne vague ?

Plus loin, Monolithe réveille la bête rock. Guitares sombres ; atmosphère lourde ; batterie en avant ; clarinette qui vient percer le mur du son. Une sorte de marche lourde où Feu! Chatterton retrouve cette densité presque post-rock qui lui va si bien. Là encore, on aurait bien laissé tourner le morceau un peu plus longtemps. Quitte à le laisser s’enfoncer dans la nuit.

Quant à Sous la pyramide, final majoritairement instrumental, il pose doucement l’album sur un tapis de synthés chauds. Cela évoque par moments Pink Floyd ; par moments une BO imaginaire de film d’anticipation. C’est l’un des grands moments de Labyrinthe. Le groupe accepte de ne pas tout surcharger de mots ; laisse l’espace respirer ; fait confiance à son sens des textures.

Impossible de parler de Labyrinthe sans s’arrêter à Mille vagues. Composé après la mort de Jean-Philippe Allard, ami et directeur de label, le morceau assume un registre de ballade endeuillée, très exposée. Le risque était grand de sombrer soit dans le pathos, soit dans une pudeur trop glacée. La chanson avance en funambule. Arpèges de guitare ; voix retenue ; paroles qui disent le choc du décès sans le surjouer. On sent dans Mille vagues quelque chose de vécu qui travaille tout l’album. Labyrinthe est un disque traversé par la mort, la fatigue, le doute ; mais aussi par ce vieux besoin de lumière qui hante la discographie du groupe depuis le début.

Et les textes dans tout ça ? Entre fulgurances et baisse de tension

L’une des grandes attentes pesant sur Feu! Chatterton, c’est la plume d’Arthur Teboul. Après les grandes orgues poétiques des premiers disques et les uppercuts de Palais d’argile, les oreilles guettent ici le moindre vers. Prêtes à recopier sur un carnet ou à soupirer. Or, Labyrinthe donne parfois le sentiment d’une écriture en transition. Certains refrains frappent juste, avec une simplicité nouvelle qui fait mouche. D’autres couplets semblent moins habités. Comme si la volonté de parler « simplement » avait emporté un peu de cette opulence verbale qui faisait le charme des débuts. On tombe ainsi sur des tournures très basiques ; des répétitions un peu plates ; surtout sur les titres les plus variétés. Rien de honteux, rien de catastrophique. Mais moins de lignes qu’on a envie de garder immédiatement. À l’inverse, lorsqu’il s’appuie sur Aragon (L’Étranger) ou Léo Ferré (Le carrousel), on retrouve la grande filiation littéraire du groupe. Le poème technoïde de L’Étranger est l’une des expériences les plus audacieuses du disque. Une sorte de kaddish électronique où l’ombre d’Aragon traverse une boîte de nuit.

Au final, Labyrinthe est un album inégal ; parfois irritant ; parfois magnifique ; jamais indifférent. C’est peut-être le moins réussi de la discographie de Feu! Chatterton, si l’on raisonne en termes de densité pure. Mais c’est aussi un disque où, sur une bonne poignée de titres – Allons voir, Baisse les armes, Cosmos song, Monolithe, Sous la pyramide – le groupe continue de prouver qu’il habite un territoire quasiment sans équivalent dans la chanson française contemporaine. Et ça, c’est chouette.

Vu de mon tabouret éthylique, Labyrinthe n’est ni le chef-d’œuvre absolu annoncé par certains, ni la catastrophe molle décrite par les plus déçus. C’est un carrefour délicat. Un groupe qui a beaucoup donné cherche une nouvelle forme ; flirte avec la variété ; avec la musique de club ; avec une écriture plus simple ; et se prend parfois les pieds dans le tapis. Mais les soirs où l’on se perd un peu, il suffit de remettre Cosmos song ou Monolithe, de laisser le final Sous la pyramide couler dans la pièce, pour se souvenir qu’il vaut mieux un grand groupe en train de chercher sa prochaine mue qu’un bon élève qui répète à l’infini la même formule gagnante.

Feu! Chatterton reste un des rares ensembles capables de convoquer Aragon, l’hyperpop, Pink Floyd et la chanson rive gauche dans le même disque sans éclater. Ce Labyrinthe n’est peut-être pas la salle la plus parfaite de leur palais. Mais c’est une pièce où il se passe encore quelque chose. Et c’est déjà beaucoup. Le Minotaure est toujours perdu dans le labyrinthe, les mains jointes avec à l’intérieur des raisins de Corinthe.

Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.