Arnaud Desplechin a eu le périlleux honneur de présenter son film Les fantômes d’Ismaël en ouverture du Festival de Cannes 2017. Si disputer une compétition avec d’autres films en vue d’obtenir la fameuse palme ne se posait pas, puisque Les fantômes d’Ismaël était hors compétition, l’exercice a tout de même de quoi faire « stresser » plus d’un metteur en scène. Cannes est exigeant, et pas toujours tendre…
L’intrigue est simple : un couple un peu étrange, construit à force de mutuelles attentions, une histoire pas trop bancale, lorsque surgit du passé l’ancienne épouse considérée comme morte et qui vient reprendre sa place comme si de rien n’était. D’un coté, Ismaël, metteur en scène un peu décalé, soignant ses angoisses diurnes et nocturnes à base de pilules de toutes les couleurs copieusement mélangées à du whisky, de l’autre, Sylvia, jeune femme fragile et un peu timide s’amusant de l’approche fantasque de celui qui deviendra son compagnon. Enfin, Carlotta , de retour en France après un périple initiatique toutefois un peu nébuleux et qui de toute évidence se désintéresse des conséquences de cette absence inexpliquée en prétendant reprendre le cours d’une vie interrompue 18 ans auparavant. Le couple risque d’imploser d’autant plus facilement que les sentiments d’Ismaël pour son ancienne compagne sont loin d’être apaisés et que Sylvia, totalement déstabilisée par une situation pour laquelle elle n’est pas taillée, préfère prendre la fuite.
Encensé d’une manière générale par la critique, ce film autobiographique n’est pourtant pas exempt de reproches. Tout d’abord, les premières images, qui nous plongent dans le film qu’Ismaël est en train de tourner nous entraînent sur une fausse piste. Il nous faudra un certain temps avant de comprendre notre méprise, c’est un film dans le film et c’est assez peu explicite. Le découpage rend d’ailleurs cet opus si touffu que les retours en arrière sont clairement indiqués afin que ne soyons pas complètement perdus. Pourtant on se laisse aller au rythme agréable des scènes, notre attention est toujours maintenue en éveil et si pendant les une heure et cinquante-quatre minutes que dure le film il est permis d’être décontenancé, il serait faux de dire que l’on ne succombe pas au charme d’une histoire poétiquement contée. Le casting de qualité n’y est bien sûr pas pour rien.
Charlotte Gainsbourg incarne avec réussite une fragilité qui lui est consubstantielle, elle a évolué depuis cette petite « effrontée » dont tout un pays était amoureux, mais elle a su garder intacte la grâce particulière qui émane de sa personne. De son côté, Marion Cotillard impose avec éclat un talent d’actrice qui se bonifie avec le temps comme le ferait un grand cru. La compréhension qui est la sienne du personnage de Carlotta est simplement stupéfiante, elle interprète avec une véracité incroyable cette femme qui a perdu pied avec la réalité et veut réintégrer coûte que coûte sa vie d’avant.
Ismaël, interprété par Mathieu Amalric nous fait osciller entre admiration et grincements de dents. S’il est splendide en début de film, et même attachant, la montée en intensité dramatique le pousse quelquefois à en faire un peu trop et le spectateur s’agace de ces images de déchéance médicamenteuse et fermentée quelque peu surjouées.
Il n’en reste pas moins que l’on passe en regardant Les fantômes d’Ismaël un assez beau moment. Rien n’est plus réjouissant que de voir ce couple, dont chacun n’est qu’un amas de pièces et de morceaux, essayant de reconstituer quelque chose qui sera de l’ordre de l’unique, un petit quelque chose dont le ciment sera l’amour. Arnaud Desplechin, malgré ses complexités, en parle avec sincérité et, peut-être, un peu trop d’intelligence ; il nous entraîne dans un univers complexe et passablement anarchique, mais dans lequel on se sent bien. Et il n’y a que cela qui compte. Pour ne pas rompre avec la tradition, nous adressons un petit coup de chapeau à l’acteur hongrois László Szabó, dont l’interprétation en tant que père de Carlotta est une belle performance d’acteur, l’expérience et la plénitude y sont palpables.
Il ne vous reste plus qu’à faire vous-même connaissance de ce nouveau travail d’Arnaud Desplechin. Les avis sont tellement contrastés que les débats entre amis qui s’en suivront promettent d’être animés. Bonne séance !
Les fantômes d’Ismaël, un film de Arnaud Desplechin, sélection officielle du Festival de Cannes 2017. Sortie le 17 mai 2017, 1h54
Les fantômes d’Ismaël, Réalisation : Arnaud Desplechin, avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg et Louis Garrel, László Szabó…
Scénario : Arnaud Desplechin, Julie Peyr et Léa Mysius, Directeur de la photographie : Irina Lubtchansky, Montage : Laurence Briaud, Producteur : Pascal Caucheteux, Costumes : Nathalie Raoul
https://www.youtube.com/watch?v=Esy1mJa2LC8
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