Avec Mateo Falcone Eric Vuillard signe une entrée remarquée dans le paysage du cinéma français. Mateo Falcone est une adaptation très personnelle d’une nouvelle de Prosper Mérimée. Il réalise un film âpre et sensoriel où les personnages dialoguent avec…le vent.
Fin août, à l’occasion de la dernière rentrée littéraire, le Rennais Éric Vuillard a publié Tristesse de la terre (voir notre article), récit dont le titre aurait très bien pu correspondre à l’objet filmique hors norme que constitue Mateo Falcone. Le film raconte la tragédie d’un enfant, qui, en l’absence de ses parents, abrite un fugitif, avant de se retrouver confronté à la violence de ceux qui le recherchent… Rappelant Steinbeck dans Des souris et des hommes, Éric Vuillard filme sans aucune forme de procès la brutalité sourde des hommes, et la met en parallèle avec la sérénité enchanteresse des grands espaces. Qui plus est, le réalisateur dépasse ce dualisme quelque peu convenu, pour filmer la « tristesse de la terre ». Ce projet singulier, qui n’est d’ailleurs aucunement explicité dans le film, repose notamment sur de très longs plans-séquences mettant en scène des hautes herbes battues par un vent retentissant. Le plus marquant, long de quatre minutes et demie, constitue une séquence d’anthologie, et appartient aux plus beaux moments qui nous seront donnés à voir au cinéma cette année. Chez Vuillard, le calme de la nature s’accompagne d’une langueur mélancolique, qu’il donne à voir par ces plans épurés, et à entendre par une bande-son minimaliste, dominée par le souffle rugueux du vent. Cette « tristesse de la terre » apparaît comme le résultat de la violence humaine, qui prend pour cadre une nature lasse de la contempler.
Ce puissant souffle esthétique et poétique s’allie dans le film à un récit âpre et minimaliste. Éric Vuillard ne nous informe pas des noms des personnages (du moins jusqu’au générique de fin) ou de leurs motivations profondes. En témoigne d’ailleurs la saisissante dernière scène, dont on ne dira rien de plus. Presque entièrement dépourvu de dialogues, Mateo Falcone se révèle être une adaptation très libre, laissant une grande place à l’interprétation. On pourra néanmoins assigner au film une réflexion sur l’honneur, valeur qui y occupe une place centrale, et qui prend toute son ampleur dans les dernières séquences. Les personnages, et en particulier le jeune fils de Mateo Falcone, esseulés au milieu d’immenses paysages, sont filmés comme des éléments intrinsèques à ces derniers. Éric Vuillard saisit ainsi brillamment l’âpreté d’un monde dans lequel la violence des hommes se trouve transcendée par une communion possible avec la nature.
Porté par des acteurs justes et une mise en scène impressionnante, Mateo Falcone s’avère donc être une adaptation très pertinente de la nouvelle de Prosper Mérimée, qui réinvente avec brio la manière de filmer la nature.