Il est des œuvres qui meurent de leur ambition. D’autres, plus sournoisement, s’éteignent dans l’indifférence, comme une chandelle oubliée sur le bord d’un cercueil trop poli. Nosferatu, le remake 2024 de Robert Eggers, appartient tristement à cette seconde catégorie : un film d’épouvante qui n’effraie jamais, un hommage qui n’a ni la révérence ni la réinvention, un monument de platitude dont l’esthétique vaguement froide dissimule mal le vide créatif et un traitement petit-bourgeois.
L’avis d’Unidivers : ★★☆☆☆
Robert Eggers, que l’on savait virtuose du malaise organique dans The Witch ou The Lighthouse, s’attaque ici au mythe fondé par Murnau, en tentant d’y insuffler une gravité gothique teintée de lyrisme macabre. Hélas, ce Nosferatu s’épuise dans une posture trop calculée ; si tout semble pensé pour faire tableau, rien ne vibre. L’angoisse ne surgit jamais. La mise en scène se contente de citations appuyées, de clins d’œil codés sans jamais parvenir à convoquer l’horreur primale ou l’angoisse métaphysique qui font du vampire une figure aussi obsédante.
Cette version de Nosferatu semble frappé d’une étrange neutralisation de ses propres forces. Là où l’on attendait du trouble, de la distorsion, de l’aberration formelle, on reçoit un académisme peureux au service d’un récit déroulé sans tension. Chaque séquence semble conçue pour figurer dans un making-of ou un portfolio de directeur artistique plutôt que pour faire frissonner. Le clair-obscur tant vanté se révèle pauvre, plat, privé de souffle. On ne sent jamais le froid des Carpates, ni la suffocation d’une présence spectrale. Le vampire est là, mais le vertige, non.
Le casting prestigieux, lui non plus, ne parvient pas à sauver la mise. Lily-Rose Depp, pourtant photogénique et étrange malgré un visage sans grande originalité, oscille entre l’hébétude élégante et le murmure affecté. Bill Skarsgård en Nosferatu, maquillé comme une créature sortie d’un parc à thème gothique, ne trouve jamais la justesse : il surjoue l’inquiétant. La terreur ne passe pas. Willem Dafoe, quant à lui, cabotine dans une partition mineure bien loin de ses fulgurances passées ; la dernière scène où il met le feu à la tombe du serviteur qui voulait être roi des rats (lourde référence à Peter Pettigrow dans Harry Potter) frise le ridicule.
Tout sonne faux. Ou plutôt : tout sonne vide. Le film échoue à créer une réelle tension dramatique, comme s’il avait confondu lenteur et langueur, stylisation et maniérisme. Le rythme est atone, les dialogues attendus, et les rares moments de violence sont si codifiés qu’ils perdent toute capacité de saisissement. Ce Nosferatu se regarde comme une succession d’arrêts sur image qui bien vite ennuie.
Le paradoxe le plus cruel, c’est que Nosferatu 2024 échoue à être à la hauteur même de ses aînés. Ni la sauvagerie silencieuse de Murnau (1922), ni la sensualité mortifère de Herzog (1979), ni le baroque flamboyant de Coppola (Dracula, 1992) ne trouvent ici un écho. Eggers semblait pourtant le mieux placé pour en proposer une nouvelle grammaire. Au lieu de cela, il se perd dans une surproduction propre et sans âme comme si Netflix avait financé une reconstitution muséale en haute définition.
On attendait des ombres mouvantes, des vitraux sanglants, une transe visuelle, une ESTHÉTIQUE ! On reçoit un film léché, vidé de ses sucs, qui empile les motifs gothiques sans y croire et les déconstruit sans les comprendre. Même la musique, pourtant signée par le talentueux Robin Carolan (The Northman) reste illustrative en soulignant des affects absents.
Pourquoi refaire Nosferatu ? La question n’est pas rhétorique. Quand un remake ne propose ni relecture, ni vision nouvelle, ni frisson d’aujourd’hui, alors il n’est qu’un produit de plus dans le cycle stérile des grands recyclages culturels. Ce film Nosferatu ne dialogue avec rien : ni avec le cinéma expressionniste, ni avec notre époque, ni même avec la psyché du spectateur contemporain. Un simulacre d’effroi, une coquille gothique pleine de vide, un linceul sans cadavre. Le vampire n’est pas mort ; mais, ici, il ne vit pas non plus.
Informations générales
- Titre original : Nosferatu
- Réalisation et scénario : Robert Eggers
- Musique : Robin Carolan
- Photographie : Jarin Blaschke
- Montage : Louise Ford
- Direction artistique : Craig Lathrop
- Costumes : Linda Muir
Distribution principale
- Bill Skarsgård : Comte Orlok / Nosferatu
- Nicholas Hoult : Thomas Hutter
- Lily-Rose Depp : Ellen Hutter
- Aaron Taylor-Johnson : Friedrich Harding
- Emma Corrin : Anna Harding
- Willem Dafoe : Professeur von Franz
- Simon McBurney : Herr Knock
- Ralph Ineson : Dr. Sievers
Sociétés et production
- Sociétés de production : Maiden Voyage Pictures, Studio 8, Birch Hill Road Entertainment
- Distributeurs : Focus Features (États-Unis), Universal Pictures (international)
Dates de sortie
- Première mondiale : 2 décembre 2024 (Berlinale)
- Sortie en salles : 25 décembre 2024 (États-Unis et international)
- Sortie vidéo / VOD : 21 janvier 2025
- Sortie Blu-ray / Director’s cut : 18 février 2025
Durée et format
- Durée version cinéma : 132 minutes
- Version longue : 136 minutes
- Format visuel : Couleur, ratio 1.66:1
- Format sonore : Dolby Atmos
Budget et recettes
- Budget estimé : 50 millions de dollars
- Box-office mondial : Environ 181,3 millions de dollars
- Dont 95,6 millions aux États-Unis / Canada
- Et 85,7 millions à l’international
Distinctions
- Oscars 2025 : nominations pour la photographie, les décors, les costumes, et le maquillage
- Autres prix : plusieurs prix techniques (art direction, costume, musique) dans des festivals internationaux et sociétés professionnelles