La Petite Dernière d’Hafsia Herzi : Foi, désir et écharde des identités 

3433

Adaptant le livre de Fatima Daas, Hafsia Herzi signe un film d’émancipation à hauteur de respiration : une jeune femme musulmane explore son désir pour les femmes sans renier sa foi ni ses loyautés familiales. Cinéma des seuils, des silences et des visages, La Petite Dernière impose la réalisatrice parmi les grandes voix de l’intime.

La délicatesse comme ligne de force

Herzi filme à l’économie, mais jamais au rabais. Les plans, tenus plus longtemps que la moyenne, installent un tempo respiratoire : ni inertie, ni précipitation. Le cadre privilégie la demi-distance — assez proche pour capter une vibration de paupière, assez loin pour laisser jouer la relation entre les corps et l’espace. Les hors-champs ne sont pas des ellipses décoratives : ils travaillent comme des zones de tension (qui entend, qui regarde, qui sait). La mise en place des scènes domestiques — seuils, couloirs, cuisines — privilégie le blocking à bas bruit : un pas de côté suffit à faire bifurquer l’axe du pouvoir. La lumière, majoritairement naturelle, refuse la stylisation appuyée ; elle épouse les heures et les matières (faïences, tissus, béton), si bien que la sensation de vrai précède l’idée. Cette sobriété rejoint une éthique : la caméra n’assène pas, elle accompagne.

Au montage, la réalisatrice économise le champ/contrechamp didactique : elle préfère des raccords sur le regard ou sur un geste inachevé qui prolonge la phrase sans l’expliquer. D’où une précision rare du point de vue : nous ne “voyons” pas le conflit, nous en partageons la durée.

Herzi filme à l’économie, mais jamais au rabais. Les plans, tenus plus longtemps que la moyenne, installent un tempo respiratoire : ni inertie, ni précipitation. Le cadre privilégie la demi-distance — assez proche pour capter une vibration de paupière, assez loin pour laisser jouer la relation entre les corps et l’espace. Les hors-champs ne sont pas des ellipses décoratives : ils travaillent comme des zones de tension (qui entend, qui regarde, qui sait). La mise en place des scènes domestiques — seuils, couloirs, cuisines — privilégie le blocking à bas bruit : un pas de côté suffit à faire bifurquer l’axe du pouvoir. La lumière, majoritairement naturelle, refuse la stylisation appuyée ; elle épouse les heures et les matières (faïences, tissus, béton), si bien que la sensation de vrai précède l’idée. Cette sobriété rejoint une éthique : la caméra n’assène pas, elle accompagne.

Au montage, la réalisatrice économise le champ/contrechamp didactique : elle préfère des raccords sur le regard ou sur un geste inachevé qui prolonge la phrase sans l’expliquer. D’où une précision rare du point de vue : nous ne “voyons” pas le conflit, nous en partageons la durée.

Politique du plan : foi, désir, langue

Le film tient ensemble ce que le débat public aime séparer. Les scènes de prière sont filmées sans exotisme ni contre-plongées hiératiques ; l’attention se déplace vers les micro-gestes (laver le bras, ajuster un voile, rabattre un tapis) qui ont la force des rituels. À l’inverse, l’éveil amoureux refuse le spectaculaire : les mains se cherchent hors centre du cadre, la pudeur devient grammaire. Cette isotopie du discret — la foi comme le désir gouvernés par la retenue — donne sa cohérence politique au film.

La langue y joue un rôle cardinal. L’alternance arabe/français/argot ne sert pas de pittoresque : elle module les rapports de force. Le français formalise, l’arabe relie, l’argot protège. Herzi orchestre ces registres comme une partition : les changements de langue coïncident souvent avec des déplacements dans le cadre (passage d’une pièce à l’autre, d’une sphère à l’autre), matérialisant l’identité composite de l’héroïne sans l’assigner.

La ville vécue, cartographie affective

La ville n’est pas décor ; elle est météo intérieure. Les terrains de sport, les bus nocturnes, les escaliers d’immeuble produisent chacun une température émotionnelle. Le jour, les lignes droites (barre d’immeuble, couloir, allée) contraignent les trajectoires ; la nuit, les diagonales s’ouvrent et autorisent l’écart. Peu de plans larges “explicatifs” : plutôt des moyens cadres qui collent aux circulations, soulignant la manière dont l’héroïne négocie son inscription dans l’espace public. La ville devient un atelier d’autorisations : là où l’on ne pouvait pas regarder, on regarde ; là où l’on s’interdisait d’être, on s’essaie à être.

Amours et alliances

Herzi refuse la dramaturgie du “grand acte” : elle privilégie la politique des petites décisions. Un texto envoyé puis effacé, une main tenue une seconde de trop, un détour après la prière : autant de micro-événements qui, additionnés, déplacent une vie. La romance avance par variations — reprise, suspension, modulation — plutôt que par tournants. Et le film élargit l’amour à l’alliance : sœurs, amies, voisines forment des coalitions provisoires où l’on apprend à dire “je” sans cesser de dire “nous”.

Nadia Melliti : une présence révélée

Melliti joue en contre-effet : un visage peu démonstratif, mais traversé par des micro-variations (une respiration plus courte, une mâchoire qui se relâche). Sa force tient à l’opacité active : elle ne “livre” pas le personnage, elle le rend habitable. La direction d’acteurs valorise les contrepoints : partenaires posés, gestes nets, écoute réelle. Résultat : la scène n’est jamais l’illustration d’un thème, elle est la création d’un présent crédible.

On reconnaît une filiation naturaliste (attention au temps, au geste, au milieu). Mais Herzi s’en détourne par une ascèse formelle : peu de musique illustrative, un son direct travaillé pour laisser affleurer les bruits de voisinage (portes, interphones, talons), un refus du sur-découpage. Après Tu mérites un amour et Bonne Mère, La Petite Dernière confirme un art du seuil : filmer la négociation plutôt que la rupture, la fidélité plutôt que l’assignation.

La Petite Dernière déplace la représentation des femmes musulmanes sans la surplomber, et invente une forme d’hospitalité pour les croyances, les désirs et les langues. Par sa rigueur de cadre, son sens du temps juste et son écoute des corps, Hafsia Herzi s’impose comme une cinéaste de premier plan.

  • Titre : La Petite Dernière
  • Réalisation : Hafsia Herzi
  • D’après : La Petite Dernière de Fatima Daas
  • Interprétation : Nadia Melliti, …
  • Genre : drame
  • Pays : France
  • Langue : français (et arabe)