Par un choix audacieux et bouleversant, le jury du 78e Festival de Cannes a couronné le film du cinéaste iranien dissident Jafar Panahi, « Un simple accident ». Au-delà de l’art, une déclaration politique. Au-delà du cinéma, un cri de liberté.
Un geste de cinéma clandestin
Il n’aurait même pas dû être là. Officiellement interdit de tournage et de voyage par le régime iranien, Jafar Panahi a pourtant remporté la Palme d’or 2025 pour Un simple accident, film tourné en Iran sous la menace constante de la répression. C’est donc une œuvre clandestine, portée par la ténacité et la ruse, qui a été distinguée par le jury présidé cette année par Juliette Binoche. Un acte cinématographique et politique d’une portée considérable.
Dans ses premiers mots après la remise du prix, Panahi n’a pas cherché à enjoliver : « Le plus important est la liberté de notre pays. Je rentrerai en Iran demain. » Ce retour, lourd de sens, rappelle que la lutte n’est pas finie, que la lumière de la Croisette n’efface pas l’ombre de la censure.
Une œuvre mineure sur un événement majeur
Un simple accident est tout sauf un simple film. Il relate l’histoire banale d’un accrochage automobile dans une ruelle de Téhéran — et la façon dont cet incident dérisoire déclenche une avalanche d’effets socio-judiciaires dans une société verrouillée. Panahi s’y livre à une démonstration implacable : dans une dictature, rien n’est anodin, et tout peut devenir explosif.
Le film adopte une esthétique épurée, presque documentaire, fidèle à la tradition néoréaliste iranienne dont Panahi est l’un des derniers représentants vivants. Mais sous cette sobriété formelle couve une tension constante. Le montage fragmenté, la caméra souvent tenue à hauteur d’homme, les silences pleins d’angoisse : tout participe à faire du banal un révélateur systémique. Un miroir tendu à l’Iran, mais aussi à toutes les sociétés où la bureaucratie et la peur gangrènent les rapports humains.
Un palmarès hautement politique
Ce sacre s’inscrit dans un palmarès marqué par les fractures du monde contemporain. Le Grand Prix a été décerné à Joachim Trier pour Sentimental Value, un drame sur les deuils transgénérationnels à l’ère post-numérique. Nadia Melliti a remporté le Prix d’interprétation féminine pour son rôle incandescent dans Le Corps absent, où elle incarne une femme tunisienne effacée des registres de l’État civil.
Mais c’est bien Panahi qui concentre toutes les attentions. En couronnant un cinéaste empêché, traqué, dont le pays est aujourd’hui l’un des plus surveillés et répressifs du monde, le Festival de Cannes assume une nouvelle fois son rôle de forum politique mondial de l’image. On se souvient de la Palme d’or à Titane de Julia Ducournau, ou de La Vie d’Adèled’Abdellatif Kechiche, mais ici, c’est une ligne de front qui est récompensée, celle entre la liberté d’expression et l’oppression étatique.
L’héritage de Mohamed Lakhdar-Hamina
L’annonce du prix à Panahi a été bouleversée par une autre nouvelle : la mort, ce même jour, de Mohamed Lakhdar-Hamina, légende du cinéma algérien et Palme d’or 1975 pour Chronique des années de braise. Un symbole poignant : l’un des rares cinéastes arabes à avoir reçu cette distinction s’éteint alors qu’un autre, de la génération suivante, est consacré.
Leurs parcours se croisent dans une même exigence de vérité, dans cette capacité à transformer le cinéma en outil de mémoire collective, d’insubordination poétique, et de subversion patiente.
Une Palme, une provocation, une prière
Avec cette récompense, Cannes n’a pas seulement salué un film — elle a hissé un manifeste. Le cinéma, ici, est clandestin comme l’était Le Dictateur de Chaplin, insistant comme Taxi (déjà de Panahi), dissident comme Le Cahier de Samira Makhmalbaf. Un simple accident deviendra sans doute une œuvre-repère de cette décennie cinématographique : preuve qu’en des temps où l’IA menace de tout lisser, l’image humaine reste un acte de résistance.
Et ce prix, malgré tout, ne garantit pas la sécurité de Panahi. Il le protège, symboliquement, mais l’expose tout autant. Il faudra suivre de près ce qu’il adviendra de lui au lendemain de son retour en Iran. Car derrière cette Palme, il y a un homme — et derrière l’homme, un peuple toujours bâillonné.
Liens à consulter sur Unidivers.fr :
- Le cinéma iranien, entre censure et poésie – Dossier spécial
- Analyse du palmarès du Festival de Cannes 2024
- Chronique : le cinéma comme geste politique
Publié sur Unidivers.fr – Le magazine culturel qui prend la liberté au sérieux.
Fiche technique du film
Titre original : Un simple accident
Réalisateur : Jafar Panahi
Scénario : Jafar Panahi
Production : Memento Films, avec le soutien discret d’artisans du cinéma iranien
Pays : Iran
Langue : Persan
Genre : Drame, social, politique
Durée : 1h37
Format : Couleur – Numérique HD
Musique originale : absence volontaire de musique, sauf quelques éléments diegétiques
Date de sortie (France) : prévue le 10 septembre 2025
Distribution internationale : The Match Factory
Palme d’or : Festival de Cannes 2025 – 78e édition