The Phoenician Scheme (2025) : l’espionnage selon Wes Anderson ou comment trahir avec élégance et papier peint baroque

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Avec The Phoenician Scheme, Wes Anderson ne signe pas seulement son 12e long-métrage, il prouve aussi qu’on peut faire exploser un complot international tout en respectant la symétrie des cadres et la palette Pantone 1955. Coécrit avec Roman Coppola, ce conte d’espionnage rétro-futuriste en cravate club et mocassins à glands fait s’entrechoquer les codes du thriller paranoïaque, du théâtre élisabéthain et catalogues Architectural Digest et Wallpaper. Résultat ? Une tragicomédie d’alcôve où même les missiles semblent tirés avec délicatesse.

Synopsis : Papa est un espion, ma fille nonne… et moi je suis le décorateur

Benicio del Toro incarne Zsa-Zsa Korda, magnat véreux de l’immobilier méditerranéen et ancien manipulateur de marionnettes géopolitiques — ce qui revient au même. Sentant le vent tourner, il appelle à la rescousse sa fille Liesl (Mia Threapleton), novice dans un couvent où l’on fait vœu de silence… sauf sur les plans d’urbanisme. Ensemble, ils doivent démêler un complot international impliquant des plans cadastraux falsifiés, une station balnéaire sur un site archéologique, et un pigeon voyageur porteur d’un message codé en phénicien ancien (sous-titré, heureusement).

Esthétique : toujours aussi andersonien, avec un soupçon de paranoïa vintage

Disons-le franchement, jamais une scène de filature en Vespa entre deux gondoles n’a été aussi rigoureusement composée. Les décors, entre palazzos en trompe-l’œil et archives souterraines façon bunker IKEA, offrent un terrain de jeu idéal à la caméra d’Anderson, qui fait défiler ses personnages comme des pièces d’échiquier maniaco-dépressives. Chaque plan ressemble à une carte postale envoyée par un espion mélancolique depuis un monde qui n’existe pas. Et la bande-son ? Mélange de clavecin, chœurs bulgares et disco italien, évidemment.

Casting : tragédie grecque et ironie douce-amère

Benicio del Toro campe un patriarche déliquescent qui semble avoir lu Machiavel entre deux cocktails au Campari. Son jeu mêle le soupçon, l’élégance et le dépit amoureux, avec des pauses savamment placées pour lisser ses cheveux gras. Face à lui, Mia Threapleton impressionne dans un rôle de religieuse déterminée à sauver son père tout en méditant sur l’inanité du monde matériel (mais avec de très jolis cols Claudine).

Michael Cera, quant à lui, incarne un archiviste-séducteur qui parle en acrostiches et fait du chantage en alexandrins. Il est né pour jouer dans un film de Wes Anderson. Il en sort comme un personnage secondaire de Tintin qui aurait fait Erasmus à Lisbonne.

Perspective : la filiation comme art de la manipulation

Le scénario, loin d’être un simple pastiche, sonde les sédiments de la loyauté et les marécages du patrimoine familial. Anderson y pose une question existentielle : peut-on pardonner à son père quand il a vendu votre jouet d’enfance à un oligarque ? Derrière les vitraux, c’est une critique acerbe du capitalisme sentimental qui s’esquisse, avec des pointes de philosophie, quelques flèches contre la privatisation des ruines antiques, et un clin d’œil au monachisme postmoderne.

Réception critique : admiré, décrié, indubitablement Anderson

Avec 75 % sur Rotten Tomatoes et un débat enflammé sur Reddit (où un internaute demande si le pigeon phénicien pourrait revenir dans un spin-off), The Phoenician Scheme divise mais ne laisse pas indifférent. Le Guardian loue la performance subtile de Threapleton, tandis que MovieWeb crie au retour du « grand Anderson ». Plusieurs spectateurs regrettent l’absence d’émotion brute. De fait, l’intrigue, labyrinthique et saupoudrée de dialogues abscons, en a perdu plus d’un en route. Entre filiation tordue, complot géopolitique et citations phéniciennes, certains y verront un pastiche trop cérébral du film d’espionnage. Quant à l’esthétisation obsessionnelle, elle peut sembler faire écran à toute émotion véritable. À ceux-là, on répondra que c’est un film d’espionnage, pas une séance de thérapie de groupe !

Pour moi, si le diable se cache dans les détails, alors The Phoenician Scheme est une chapelle Sixtine du soupçon où chaque plan est un mensonge, chaque réplique un code. Mais quel plaisir j’ai ressenti à me faire manipuler quand tout est si joliment agencé…

Fiche technique — à la manière d’un dossier de renseignement classifié

  • Titre original : The Phoenician Scheme
  • Réalisateur : Wes Anderson
  • Coécriture : Wes Anderson & Roman Coppola (qui ont manifestement lu tous les manuels de CIA des années 60 en une nuit)
  • Avec : Benicio del Toro, Mia Threapleton, Michael Cera, Rupert Friend, Jason Schwartzman, Bill Murray (caméo très secret)
  • Durée : 1h57 (temps nécessaire pour infiltrer le cœur d’un complot familial)
  • Sortie France : 6 juin 2025
  • Production : Focus Features
  • Musique : Alexandre Desplat, avec une harpe paranoïaque et quelques notes de clavecin comploteur
  • Classification : R, pour révélations explosives et usage intensif de motifs floraux