Ce serait presque un lieu commun de dire que François-René Duchâble mène une carrière de pianiste solo qui ne suit pas volontiers les sentiers battus. Mais ne l’oublions pas, même si, en iconoclaste, il apprécie de s’entourer de jongleurs, de danseurs et le cas échéant d’artificiers, il est, par formation, un pianiste classique. Et de renom.
Pour ce premier concert, qui a eu lieu le vendredi 10 juin 2016 au TNB, François-René Duchâble avait fait appel à un acteur professionnel en la personne de Alain Carré et nos talentueux duettistes ont alterné pièces du répertoire pianistique et narration d’une passionnante et authentique histoire ; celle de la vie du grand musicien romantique Hector Berlioz. Sans surprise réelle, l’addition de ces deux remarquables talents nous a offert un concert mêlant adroitement l’émotion musicale à celle que peut produire le théâtre.
Après de longues minutes dans le noir, nous sursautons presque à la vigoureuse attaque du piano. Il aura suffi des quelques notes impérieuses initiant la première ballade Op. 23 en sol mineur de Frédéric Chopin, pour tétaniser l’assistance très nombreuse qui, ce soir la, n’avait pas cédé aux sirènes footballistiques. Suivra presque immédiatement le second mouvement de La Sonate au clair de lune op.27 de Beethoven, pas aussi émouvant, mais plus sautillant que le premier aux sombres beautés.
Changement de rythme, les projecteurs se focalisent soudain sur l’acteur Alain Carré, lequel, en redingote et costume de la moitié du dix-neuvième siècle, commence une longue litanie de plaintes et de récriminations, comme celles que ne manquait pas de formuler Hector Berlioz, convaincu de son génie, et irrité du manque de reconnaissance de ses contemporains. Adroitement écrit, le texte reprend parfaitement le ton de l’époque, mettant en avant avec perspicacité cette forme de suffisance égocentrique et bourgeoise.
Berlioz n’a pourtant pas totalement tort puisqu’il devra attendre sa quatrième présentation au prix de Rome pour enfin l’obtenir. S’il a connu de 1828 à 1830 un certain succès auprès du public, c’est une situation qui ne se reproduira jamais. Harold en Italie (1834) comme Le Requiem (1837) n’obtiendront qu’un moment d’agitation savamment crée par quelques amis du musicien. Ses tournées à l’étranger ne semblent pas lui apporter beaucoup plus de satisfactions. Ni l’Allemagne pourtant très musicienne, ni l’Autriche ne lui apportent de réconfort, seule la Russie, où il est très apprécié est une source de consolation. Il se sent si isolé qu’en 1848, il écrit « Je me trouve, si fatigué, si pauvre d’illusions ». Alain Carré dans les textes qu’il a écrits lui-même sait souligner avec subtilité la détresse des amours de Berlioz, il nous décrit sans fard l’affection non partagée avec une Harriet Simpson qu’il épousera plus tard, vieillie et pauvre. De sa nouvelle toquade avec Maria Reccio, danseuse Espagnole qui le ridiculise, il ne reste rien. L’estocade viendra avec la mort, qui enlèvera en quelque temps, son père, sa mère, ses sœurs tant aimées, puis Harriet et Maria qui ne le furent pas moins. Il est vraiment seul ! Il attendra dans le vide d’une existence devenue inutile, sans but et sans soutien, sans même le secours de la foi, une mort qui se décidera à mettre fin à son supplice le 8 mars 1869.
Tous ces états d’esprit, de la tristesse à l’exaltation, sont joliment illustrés par les mélodies du piano. À l’instar des textes, les morceaux sont choisis avec beaucoup de soin et correspondent au ressenti évoqué. Jean-René Duchable nous entraîne dans toutes ces nuances avec L’île joyeuse de Claude Debussy, des paraphrases de concert de Frantz Listz d’après Rigoletto de Verdi ou la tétralogie de Richard Wagner. Frédéric Chopin y tiendra une large et belle part et notre pauvre Hector, comme une ultime ironie, n’y sera pas oublié, et verra la marche au supplice de sa Symphonie fantastique, transcrite par Franz Liszt, mettre un point d’orgue douloureux à sa narration.
À l’occasion d’un des multiples rappels, nos complices nous offriront un texte illustré par une des œuvres célèbres de l’énigmatique Erik Satie, la première et fascinante Gymnopédie. Vous l’aurez compris, un concert atypique, mais passionnant. Comme quoi il n’est pas mauvais de laisser carte blanche aux musiciens. C’est d’ailleurs une autre carte blanche qui sera laissée à Philippe Entremont, un des plus grands musiciens de sa génération, fameux tant au pupitre qu’au clavier. C’est à la baguette qu’il interprétera une œuvre de Richard Strauss Introduction de Capriccio pour orchestre à cordes suivie du Concerto pour piano n°20, KV 466 de W. A. Mozart, puis la Septième symphonie de Beethoveen, tout cela à Rennes en lieu et place du War requiem de Benjamin Britten prévu à cette même date. Un ultime rendez-vous que nous vous conseillons chaleureusement.
François-René Duchable et Alain Carré Essentiel #12, Histoire de ma vie, Hector Berlioz vendredi 10 juin 2016 Rennes / TNB
Crédit photo : Shumin