Alors qu’il nie être en train de publier les Lettres anglaises, qu’il nie d’ailleurs avoir écrites, Voltaire se trouve une fois de plus embarqué dans des crimes – qu’il n’a certainement pas commis ! Le réel assassin, de son côté, semble s’en prendre à des individus dans leur plus simple appareil, de préférence en aimable compagnie, dans des mises en scène inspirées de livres licencieux. L’affaire risque de faire du bruit, car il s’agit à chaque fois d’hommes d’importance. Voilà notre Voltaire contraint d’aller se compromettre dans les recoins pas nets de la capitale, maisons de débauche gérées par des « abbesses », librairies clandestines, bureaux de la Librairie où les ouvrages interdits disparaissent entre les mains des exempts… sur les traces d’un meurtrier qui, comble de ce siècle, s’est pris de haine pour les libertins.
Entrer dans l’univers d’un écrivain que l’on n’a encore jamais lu, c’est toujours une découverte, un peu d’étonnement, qui se traduit à la fin de la lecture avec une envie de fuir ses autres parutions ou au contraire de filer en librairie acheter tous ses livres. Je caricature (ou pas !). Avec Meurtre dans le boudoir, premier roman que je lis de Frédéric Lenormand, je suis conquise, vous allez comprendre pourquoi.
Nous sommes en plein XVIIIe siècle, exactement en 1733, sous le règne de Louis XV. A cette époque, Voltaire publie ses Lettres philosophiques à Londres, à cause de l’interdiction de parution en France. Pourquoi est-ce que j’évoque Voltaire ici ? Car il s’agit précisément du personnage principal qu’a choisi de mettre en scène l’auteur. Plus qu’un écrivain philosophe, il est un enquêteur ; d’où le titre de la saga dans laquelle s’inscrit le roman : « Voltaire mène l’enquête ».
Lorsqu’un meurtre est commis dans le boudoir oriental d’une maison de plaisirs parisienne, le lieutenant de police Hérault va pousser notre ami Voltaire à débusquer le coupable, et ce dans le vain espoir de le détourner de sa lubie philosophique et notamment de ce fameux recueil de lettres.
Voilà donc Voltaire sur la piste d’un étrange tueur qui semble s’appuyer sur un roman libertin pour commettre ses forfaits. Accompagné de la marquise du Châtelet, son amante, de Céran, son secrétaire et de Michel Linant, un abbé à la vocation d’écrivain, le lecteur s’embarque dans une comédie burlesque étonnante, où humour, enquête policière et mœurs d’une époque sont étroitement mêlés. Et concernant les mœurs, le libertinage et la débauche de ce siècle sont merveilleusement exploités ici. Encore une fois, c’est très drôle.
Dès les premières pages, j’ai été surprise du ton résolument humoristique de ce récit, auquel je ne m’attendais pas. Mais quel divertissement que de lire les aventures de Voltaire ! D’autant que la langue utilisée par Frédéric Lenormand colle parfaitement au contexte historique. Ce qui m’a frappé ici, c’est l’impression de me trouver devant une farce si bien écrite, avec des personnages au caractère si extravagant, que je la verrai bien adaptée en pièce de théâtre. C’est d’ailleurs sur une scène que je me suis imaginée l’histoire et non à la manière d’un film, comme c’est toujours le cas chez moi.
Concernant les personnages, j’ai adoré celui de Voltaire. Il est hypocondriaque, faux modeste, déluré, avare et jaloux ; autant de traits de caractère qui, alliés à un style burlesque, créent un personnage haut en couleur avec lequel on ne s’ennuie pas une seconde. Selon moi, plus que l’enquête policière, c’est vraiment lui qui est le centre et l’intérêt du roman.
Le personnage féminin du roman, Émilie, marquise du Châtelet, est clairement une opportuniste. Se cachant sous les traits d’une femme de son époque, elle n’en est pas moins cultivée, toujours à la recherche d’une bonne conversation, et surtout en quête d’hommes qui puissent satisfaire son élévation personnelle.
Voltaire et Émilie forment un duo qui se complète et s’équilibre. J’ai beaucoup apprécié leur association.
S’il fallait chercher un point faible ? Difficile à dire. Vous serez peut-être obligés, comme moi, de relire plusieurs fois une phrase pour être sûr d’avoir bien assimilé tous les détails et informations dont elle regorge. Mais à part ça, j’ai découvert un humour excellent et une histoire très sympathique.
Marylin Millon
Frédéric Lenormand Meurtre dans le boudoir, ]JC Lattès (1 février 2012), 321 pages, 18€