Le retour de GiedRé à Rennes, c’était à l’Antipode mercredi 30 mars. La chansonnière cultive toujours autant le contraste entre son apparence douce, enfantine et la franchise graveleuse, critique, de ses textes. Une entrevue au sommet à propos de son dernier album, de l’humour lituanien et du connard qui sommeille en chacun de nous…
GiedRé ne fait pas de tournées musicales : elle fait des « tournantes ». Elle préfère le rose PQ au rose bonbon. Elle ne chante pas des comptines pour les enfants : elle préfère parler des jeunes, des vieux, des putes, et globalement de tout ce qui se passe en dessous de la ceinture. Elle est seule sur scène avec une guitare. Mais la comparer à Brassens, ce serait encore oublier qu’elle ne porte pas la moustache. À choisir, elle ressemblerait plutôt à un étrange mélange entre Didier Super et Colette Renard.
Avec son dernier album, sorti en janvier, autoproduit, en partenariat avec Le Rat des Villes, et sobrement intitulé Lalala, GiedRé revient avec des textes drolatiques, souvent crus, toujours critiques. Les portraits de personnes marginales, déclassées, alternent avec des engagements déguisés. Sur la scène, elle fait sa bête. Son public la connaît, les échanges fusent. À l’Antipode, on était loin d’un concert traditionnel. Entrevue chaleureuse avec une artiste sincère !
Unidivers : On peut lire sur ton site officiel une sorte de moquerie envers l’expression « album de la maturité ». Alors, la grande question : Lalala est-il cet album de la maturité ?
GiedRé : C’est l’album de l’immaturité, je pense. Je sais pas, je ne suis pas partie au Tibet me recueillir, avec des chamans. Je n’ai pas le droit de le labéliser « album de la maturité ». Il n’a pas été fait dans les règles de l’art de la maturité.
U : Ce serait un bon titre, L’album de l’immaturité…
GiedRé : Mais j’ai de bonnes idées. Tu le verras au cours de l’interview. Pour ce nouveau titre d’album, j’ai eu un peu pitié des gens de ton espèce qui doivent dire : « Bonjour, GiedRé, vous avez sorti un nouvel album, Mon premier album fait avec mes mains et mes pieds et surtout le samedi après-midi après le déjeuner ». Enfin, tu sais, des titres dans le genre.
U : Merci.
GiedRé : De rien, je suis là pour votre bien.
U : Cet album, selon toi, est-il différent des précédents ?
GiedRé : J’espère que ça change. J’espère que je ne fais pas toujours la même chanson. Il y a des gens qui me disent : « Ouais, on veut des chansons avec des bébés congelés ». Mais j’en ai déjà fait ! Écoute d’abord celle que je viens de faire. Il ne faut pas tomber dans cet écueil-là. Je fais surtout ce qui me plaît, raconter des histoires sur les gens. Donc de nouvelles histoires sur des nouvelles gens. Pour moi, il était quand même différent sur le plan musical : c’est encore un peu discret, mais, par rapport aux autres, je n’utilise pas que la guitare et la voix. Avant je faisais des chansons, j’ai l’impression d’avoir fait un album. J’ai bossé sur les arrangements, donc pour moi, c’était différent. J’avais envie d’exploiter un peu plus la musicalité. Il y a aussi du banjo, de la flûte, de la basse…
U : Cet album est-il moins cru, en un sens ?
GiedRé : Je m’en serais voulu si j’étais devenu une parodie de moi-même. C’est quelque chose dans lequel on peut tomber si on cherche à satisfaire uniquement les demandes du public. Il faut lutter contre cette facilité. Finalement, c’est que de l’ego, de vouloir chercher à plaire. Il faut lutter contre cet orgueil. C’est différent des chansons que j’ai écrites il y a six ans, heureusement.
U : Dans ta chanson, Le gros enculé, qui vises-tu exactement ? Quelles sont tes cibles ?
GiedRé : C’est nous tous. Je ne pense pas qu’on soit des connards, fondamentalement, mais je pense qu’en chacun de nous, il y a un gros connard. Des gens lui laissent parfois beaucoup de place. Il s’agit de ne pas lui en laisser trop. Il est là, il existe, il ne faut pas l’arroser pour ne pas qu’il grandisse trop, pour qu’il pourrisse dans un coin. Mais la graine est plantée. Tu nais avec ta graine de connard.
U : Alors, vision pessimiste du monde ou simplement franche ?
GiedRé : C’est réaliste. Les gens ont envie de croire que tout est merveilleux, que c’est tellement bien la vie, que c’est tellement gentil. J’aimerais bien être à leur place, mais je crois qu’ils se trompent. Dès que tu dis quelque chose qui n’est pas trop mignon, trop bien-pensant, tu es taxé de pessimisme, mais c’est simplement réaliste.
U : Est-ce que tu autoproduis toujours tes disques ?
G : Oui. J’aurais pu faire autrement. On me l’a proposé. Je ne me reconnaissais pas trop dans les discussions, tu sais, avec des gens qui sortent des écoles de commerce. Je ne parle pas vraiment la même langue. Je n’ai pas envie de faire des sous. Si j’en avais eu envie, j’aurais fait une école de commerce avec eux. Je trouve ça plus amusant d’essayer de faire son truc avec ses propres moyens. Quand tu es enfant, tu préfères construire ta propre cabane, plutôt qu’on t’en achète une à Jouet Club : c’est plus rigolo. C’est toi qui l’as faite.
U : Est-ce tu t’occupes aussi de tout l’univers qui entoure tes chansons ? Le site internet ? Les pochettes ? Les décors des concerts ?
GiedRé : Oui. Je suis accompagné aussi : un ami graphiste me suit depuis le début. Je lui dis, ce serait bien de mettre ça, de mettre un caca ici ou là.
U : Et quelle est la nature de ces « tournantes », comme tu les appelles ? Est-ce qu’on y trouve des aspects proches du théâtre, voire du stand-up ?
GiedRé : Les gens pensent que, si tu fais des blagues, tu es humoriste. Comme je suis toute seule sur scène, et que j’aime bien les gens, j’ai besoin de communiquer. Sinon je serais restée dans mon salon à chanter pour mes chats. Forcément, comme je suis seule, je parle avec les gens. Pour moi, chaque concert doit être différent, et il l’est, de fait. Si tu inclus le public dans ton spectacle, il est forcément différent. Il y a toujours des imprévus, des accidents.
U : Je vais utiliser une formule typiquement journalistique : concernant cette théâtralité, ce contraste que tu cultives entre un aspect enfantin et la crudité des textes, est-ce que tu te sens « à la ville comme à la scène » ?
GiedRé : J’ai l’impression d’être à Paris Match (rires). C’est super. Comme j’ai fait du théâtre, que j’étais dans une compagnie, quand je suis montée pour la première fois sur scène, des choses étaient acquises. C’était presque inconscient. Je savais ce qu’était une représentation. Quand j’ai commencé à monter sur scène, je me suis dit qu’il fallait mettre de la déco, une scénographie. Il n’y a pas que les chansons qui racontent quelque chose. Tout raconte, en fait. J’ai interprété des personnages au théâtre, pendant plusieurs années. La seule différence entre la représentation de soi et la vie, c’est que tu choisis ce que tu veux montrer aux gens. En général, tu vas choisir une représentation où tu te sens à l’aise. Si tu prends quelque chose de radicalement opposé à toi-même, c’est difficile à tenir.
U : C’est presque le 1er avril, tu aurais pu arriver dans un rôle totalement différent. Déguisé en noir, par exemple…
GiedRé : Oui, en slim, à la mode. Ça aurait été drôle.
U : Est-ce que tu as des influences ? Certains chansonniers, musiciens, écrivains, dramaturges ?
GiedRé : Oui, forcément. En chanson, j’aurais du mal à dire : j’ai été influencé par Brassens et Renaud. C’est impossible. Si tu te dis influencé par Jean Yanne ou Barbara, tu n’écris aucune chanson. C’est handicapant. Ce n’est pas Brassens qui m’a donné envie de faire des chansons. C’est plutôt complexant : comment écrire des chansons après lui ? Mes influences, ce serait plutôt des écrivains, des humoristes. Quelqu’un comme George Carlin. Ou Jean Teulé, du moins les premiers romans. Il fait de la poésie avec du moche, il dit la vérité. Dans Ô Verlaine, il parle du véritable Verlaine, celui qui a des MST parce qu’il se tape des putes qui ont des croûtes, celui qui n’a plus de dents et qui pue. Mais aussi Louis C. K., Amy Schumer.
U : Est-ce que tu éprouves une certaine jouissance à utiliser gros mots et insultes de la langue française ?
GiedRé : Une chanson, c’est court. Tu ne peux pas te permettre de passer quatre phrases pour éviter de dire « enculé ». Tu dis « enculé ». Tu auras de la place pour dire autre chose. Tu sais, je viens de Lituanie. En Lituanie, il n’y a pas de gros mots, pas du tout. Quand tu insultes tes amis, tu les traites de « farine non moulue ». Ou « vieux crapaud ». C’est l’équivalent de « fini à la pisse » si tu veux, « farine non moulue ».
U : Est-ce que tu revendiques une portée sociale dans tes chansons ?
GiedRé : J’aime bien le rap français. J’aime bien la démarche. Ce sont les dernières personnes, je pense, à se soucier de ce qu’ils racontent. Ce que je fais, c’est un peu plus enrobé. Il faut dire : « non, mais c’est du divertissement ». Toujours lutter avec l’arme de l’ennemi, très important.