Ce vendredi premier février 2019 à la salle de concert Le liberté, il fallait vraiment avoir des semelles de plomb pour ne pas taper des pieds, battre des mains et marquer le rythme trépidant imposé par Goran Bregovic et son orchestre des mariages et des enterrements. Foi de Rennais, on n’avait jamais vu un tel déferlement sonore. Pour les deux mille cinq cents personnes présentes, la soirée fut jubilatoire, truculente, elle fut surtout une invitation à la tolérance et au savoir-vivre ensemble. Une leçon de vie qui a pris pour l’occasion la forme de trois lettres.
Trois lettres de Sarajevo, c’est le titre du concert et il mérite quelques explications. Goran Brégovic est Serbe, et il est originaire de la capitale, Sarajevo. De cette ville il garde le souvenir d’un étrange melting-pot sonore, quand, à midi, les cloches de la cathédrale se mêlaient au chant du muezzin appelant les fidèles de confession musulmane à la prière. Le vendredi, jour de shabbat, c’était au tour des rabbins dans les synagogues de mêler leurs chants à la cacophonie ambiante. Cacophonie..? C’est plutôt injuste, si l’on considère que ce mélange bruyant n’est rien d’autre que la manifestation de l’unité d’un peuple se souciant peu de la religion de ses voisins et surtout, la respectant. Malgré l’incroyable débauche d’énergie proposée par l’orchestre symphonique de Bretagne et ses invités balkaniques, ces trois lettres, adressées aux trois communautés restent empruntes d’une mélancolie sous-tendue, celle que suggère la perte d’un paradis perdu.
La première lettre écrite par la communauté juive, est illustrée par des mélodies, majoritairement d’Europe de l’Est dans toutes ses composantes, mais aussi d’Israël. La musique Klezmer y trouve toute sa place, mais pas seulement. Le violoniste, Gershon Leizerson, venu de Tel-Aviv déchire le cœur de l’assistance avec un toucher sensible et charnel à la fois, la force qui émane de son expression musicale en fera indiscutablement notre petit coup de cœur de la soirée.
Pour la seconde lettre, celle des musulmans, c’est la jeunesse et l’énergie qui seront mises en avant. C’est au jeune et talentueux violoniste tunisien Zied Zouari que reviendra le périlleux honneur de nous initier aux étranges et sinueuses mélodies orientales. Il s’en tire à la perfection et fait flotter dans l’immense salle comme un parfum d’Arabie et de mille et une nuits.
La lettre des chrétiens sera écrite par la remarquable Mirjana Neskovic et cette jeune femme, premier violon de l’orchestre symphonique de Belgrade ne déméritera en rien face à ses collègues masculins. Elle fait preuve d’une fougue et d’une passion que nous aimons retrouver dans cette musique que l’on dit classique. Dirigé par le chef Aurélien Azan Zielinski, l’orchestre symphonique de Bretagne est mis à rude épreuve. Les mélodies de Goran Brégovic sont puissantes, pleines de changements de rythmes, entrecoupées de chants et d’onomatopées intervenant de façon inattendue à ne pas dire discordante. Un groupe de sept chanteurs dignes de figurer dans une chorale orthodoxe ponctue de sa sonorité pleine et vraiment splendide, des mélodies qui oscillent entre la musique savante et la Bossa nova. On est souvent perdu. À gauche de la scène, deux chanteuses en costume traditionnel nous font voyager dans toute l’Europe de l’Est, de la Bulgarie à la Roumanie, sans oublier, bien sûr, la Serbie. Au beau milieu des violons le chanteur de l’orchestre s’acharne sans fatigue apparente sur une grosse caisse surmontée d’une cymbale, il paraît capable de chanter dans toutes les langues de la terre et il ne s’en prive pas.
Au début du concert, alors que l’OSB nous mettait en condition en interprétant une très évocatrice ouverture, voilà qu’il est interrompu bruyamment par des flons-flons intempestifs, ceux d’une fanfare de cuivres, arrivée du fond de la salle, se livrant à un véritable crime de lèse-majesté joyeusement iconoclaste. Le chef d’orchestre en perdra sa baguette ! Le ton est donné et c’est une vraie lueur d’espoir qui est allumée, à aucun moment elle ne s’éteindra. Après deux heures d’un incroyable concert et pour ne pas se quitter sans un bis des plus sympathiques, musiciens et choristes nous inviteront à les accompagner en chantant tous ensembles, Bella ciao et Kalashnijkov, le public ne s’est pas fait prier. Les représentants des différentes communautés présentes ne s’y sont pas trompés et tous se sont levés d’un seul homme pour applaudir chaleureusement un autre homme, Goran Bregovic, un Serbe qui s’est juré de retrouver le paradis perdu.
GORAN BREGOVIC ET L’OSB : TROIS LETTRES DE SARAJEVO.
LE LIBERTÉ – Musique du monde
Vendredi 01 Février 2019 à 20h00
Orchestre Symphonique de Bretagne
Direction : Aurélien Azan Zielinski
Avec Goran Bregovic et l’Orchestre des Mariages et Enterrements
Violon : Mirjana Neskovic, Zied Zouari, Gershon Leizerson