Grenouille mortelle de Lionel Besnard, à la recherche du sculpteur maudit

Grenouille mortelle est le premier roman de Lionel Besnard, guide-conférencier et historien de l’art rennais. Paru en mars 2022 chez Cohen & Cohen, ce livre nous emmène à la découverte d’un sculpteur oublié, entre Rennes et Séville, dans l’Europe des années 40 divisée par la guerre civile et les conflits mondiaux.

Rennes. Année 1941. Dans les rues rennaises et sévillanes, Lionel Besnard nous embarque dans les méandres d’une formidable enquête policière à la recherche d’une sculpture médiévale disparue.

grenouille mortelle
Lionel Besnard par © Guillaume Michelet

Guide-conférencier et enseignant en histoire de l’art, grand mélomane, Lionel Besnard nous surprend avec son premier roman, une œuvre à la fois captivante et légère. Aussi bien lecture de vacances que livre de chevet, Grenouille mortelle est un récit transversal qui dresse le récit d’événements fictifs et historiques.

L’histoire se dessine dans une Rennes bouleversée par la Seconde Guerre mondiale. Louis Feutrier, grand mélomane et membre du club de jazz rennais, se voit forcer d’abandonner, à son plus grand dam, la pratique du saxophone pour cause d’un pneumothorax. Mais c’était sans compter sur une mystérieuse affaire à laquelle il va désormais se consacrer corps et âme. Une énigmatique lithographie représentant un mausolée lui est délivrée et devient le point de départ d’une enquête qui l’emmènera jusqu’en Espagne.

Au cours de ses recherches, Loulou fait d’abord d’étonnantes rencontres à Rennes, en commençant par la diaspora républicaine espagnole en exil. Parmi ses membres, Aquilino Pol Saavedra, un professeur espagnol d’histoire de l’art qui le persuade de partir sur les traces de Lorenzo Mercadante de Bretaña, le sculpteur à l’origine du mausolée représenté sur la lithographie. De cet étrange sculpteur il ne reste que peu de traces. Cependant, il aurait travaillé pour les grands dignitaires et cours européennes du XVe siècle, et il a marqué la ville de Séville de ses créations. Louis part alors pour la capitale andalouse bien déterminé à retrouver des informations au sujet d’une de ses sculptures disparues, un œuvre monumentale en terre cuite. Ce qu’il sait de lui ? Une mystérieuse grenouille sculptée qui semble être devenue la signature permettant d’identifier l’artiste, et qu’il retrouve sur les différentes œuvres laissées à la postérité.

Peu à peu, l’enquête va se paver de dangers sur les traces de cette œuvre disparue. D’inquiétants personnages vont venir troubler les recherches du jeune homme. Aux côtés de Tommy et sa cousine Lola, Louis va se heurter aux manigances et conflits d’intérêts favorisés par la guerre civile espagnole. Séville, en proie à la dictature miliaire suite à la défaite républicaine, devient le terrain de jeux de conspirations diverses où la recherche de l’œuvre disparue est au cœur de toutes les préoccupations. Aux côtés de Tommy et Lola, Loulou connaîtra le péril dans un contexte de guerre au cœur d’une Europe divisée par les conflits. Et peu à peu, comme la grenouille venimeuse avec sa proie, l’artiste maudit empoisonnera le quotidien du jeune Louis qui se retrouve pris au piège de ses recherches périlleuses :

« À nouveau résigné, il pensa que le sculpteur maudit avait de nouveau frappé (…) cette malédiction était irrémédiable, il fallait s’en éloigner. Il décida qu’il fallait définitivement enterrer « l’affaire Marc’hadour ». » Lionel Besnard

Dans ce roman que l’on peut qualifier de policier, difficile de savoir démêler le vrai du faux. Lionel Besnard mélange et dose avec talent le factuel et le fictionnel avec pour résultat un récit passionnant. Comme un roman policier, Grenouille mortelle nous dévoile des secrets d’histoires. Le pittoresque du cadre dans lequel se déroule l’action prend sa source dans un rapport énigmatique entre terres bretonnes et andalouses. Un sculpteur breton en Espagne, voilà de quoi surprendre. Et pourtant, Lionel Besnard n’a rien inventé. C’est lors d’un séjour à Séville, au musée des Beaux-Arts qu’il découvre une salle dédiée à Lorenzo Mercadante de Bretaña. Ce dernier aurait été, selon deux historiennes de l’art spécialisées sur le sujet, le premier grand sculpteur qui aurait permis le transfert et l’échange des savoirs entre cours européennes. Figure centrale de l’art gothique, sa présence est largement attestée à Séville grâce, entre autres, à sa signature sur le tombeau de Juan de Cervantes dans la cathédrale de Séville.

  • hot club rennes
  • hot club rennes

Autre élément historique raconté dans Grenouille mortelle, la présence d’un groupe de jazz rennais sous l’Occupation. À Rennes, de 1941 à 1952, le Hot Club va rythmer la capitale bretonne de ses concerts et émissions sur Radio Bretagne. Si le héros principal du roman Louis Feutrier est un personnage fictif, il a cependant quelques traits d’un des membres du Hot Club de Rennes. Quant aux autres musiciens cités par Lionel Besnard dans Grenouille mortelle, ils ont tous existé. L’auteur a voulu volontairement faire du Hot Club de Rennes la toile de fond de son enquête. Il faut mentionner que l’auteur est celui qui aura réhabilité en 2022, aux côtés de Guillaume Michelet, l’orchestre de jazz en rééditant d’anciens 78 tours accompagnés d’un livret retraçant l’histoire passionnante de ce club jazz :

« Je voulais leur faire un petit hommage parce qu’ils étaient complètement oubliés aujourd’hui. »

Lionel Besnard

Un roman qui tire sa force dans la capacité de l’auteur à adroitement mélanger les éléments de narration pour en faire à la fois un récit historique et un roman policier : « Une des raisons qui m’ont poussé à faire un roman plutôt qu’un écrit scientifique c’est que j’ai beaucoup de proches qui se demandaient ce qu’est le métier d’histoirien de l’art. Ça me permettait d’expliquer pourquoi je trouve passionnant d’enquêter sur un sculpteur. Quand on fait des recherches en histoire de l’art parfois on le compare un peu à une intrigue policière, et je voulais faire ce parallèle. »

À la fois prenant et pittoresque, Grenouille mortelle nous transporte dans une autre époque grâce à sa documentation fournie et son écriture détaillée et vivante. La narration ne tombe pas dans la description simple ni dans la surabondance d’éléments historiques. Avec justesse, l’auteur dresse le portrait de deux villes secouées par la guerre et plonge son lecteur dans une ambiance particulière. Et pour les plus mélomanes, Lionel Besnard cite tout au long du roman de nombreuses références musicales. De quoi rendre la lecture de Grenouille mortelle doublement plaisante avec une bibliothèque musicale fournie. Que ce soit avec des morceaux de jazz ou des solea (une des formes d’expression musicale du flamenco, ndlr.), il n’y a plus qu’à fermer les yeux pour se laisser porter tantôt à Séville, tantôt à Rennes ou au Folgoët, sous la fraîcheur bretonne ou l’étouffante chaleur de l’Andalousie.

Lionel Besnard, Grenouille mortelle, Cohen & Cohen éditeurs, mars 2022, 272 pages. Prix public : 23 €

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