Pétro et Nadia ont choisi de rester dans leur ferme ukrainienne de Zvizdal, à quelques kilomètres de Tchernobyl. Pendant cinq années, de 2011 à 2016, été comme hiver, Bart Baele, Yves Degryse et Cathy Blisson ont filmé l’évolution du couple d’irréductibles octogénaires. Avec son écran double et ses trois maquettes miniatures représentant le refuge de Pétro et Nadia aux différentes saisons, ce spectacle documentaire du groupe Berlin brosse un portrait brut et poignant d’un couple rare. Zvizdal était présenté à Rennes les samedi 18 janvier et dimanche 19 janvier 2020. Rayonnant. Irradiant.
Retour à Rennes du chapiteau rouge du groupe Berlin pour l’avant-dernier volet de son cycle Holocène. L’holocène c’est l’époque géologique qui s’étend sur les 10 000 dernières années à nos jours. Pour le collectif Berlin, Holocène est un cycle qui invite à explorer l’universel de la condition humaine à travers les portraits de villes et de leurs habitants. Bart Baele et Yves Degryse (respectivement scénographe et comédien de profession) aiment voyager, toujours portés par une envie de transmettre aux autres. Ils commencent la série avec Jérusalem en 2003, puis continuent avec Iqaluit, Bonaza, Moscou …
Zvizdal est donc l’avant-dernier épisode d’Holocène. La ville se trouve à 100 km au nord de Kiev, au milieu de la zone d’exclusion (d’une superficie équivalente au Luxembourg) mise en place après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Rennes présentait cette île improbable où l’existentiel témoigne de l’universel dans un site industriel exceptionnel et habituellement inaccessible : l’usine de traitement des eaux de Beaurade. Spectacle touchant dans un cadre original, une fois de plus cette programmation signée les Tombées de la nuit fut un franc succès. Et Unidivers s’est laissé porté jusqu’en Ukraine.
26 avril 1986. Environ 90 villes autour de la ville de Pripyat sont évacuées. Pétro et Nadia, un couple de 60 ans, né et élevé à Zvizdal, refusent l’évacuation. Ils préfèrent rester dans leur ancien village, chez eux. Un village fantôme. Toutes leurs connaissances ont disparu, seules leurs maisons pillées témoignent d’une ancienne activité. Des lieux pétrifiés, envahis par la nature qui redeviennent libres. Sans électricité, ni eau courante, ni chauffage. Mais il y a les superstitions, il y a la vodka, le bavardage, la malédiction, le chant, les maux de dents, les maux de vieillesse, la marche de 20 kilomètres jusqu’au magasin, l’attente d’un visiteur en provenance de la civilisation…
Plus d’une vingtaine d’années plus tard, Cathy Blisson, journaliste en reportage sur la zone autour de Tchernobyl, se perd en voiture dans la zone interdite. Au milieu d’une petite route, son chemin croise celui de Pétro. De retour en France, la journaliste contacte le collectif Berlin. Zvizdal devient un chapitre d’Holocène, portant avec lui la force et la poésie du couple de Pétro et Nadia. Le documentaire berce le spectateur pendant une heure et demie dans un environnement qui paraît hors du temps.
« Le couple n’a pas l’électricité. Ni de moyen de contact avec le monde extérieur. On est allés régulièrement par tranche d’une semaine ou dix jours à Zvizdal. On allait voir Pétro et Nadia dans leur ferme de temps en temps. Parfois en vain. Pour nous, les radiations ne sont pas dangereuses si on ne consomme pas d’eau ou de nourriture en provenance du territoire contaminé. » Raconte le Co fondateur, Bart Baelele. Il poursuit : « Au contraire, le couple s’expose à un danger important en consommant des pommes de terre qui se sont développées dans la terre irradiée, par exemple. Et pourtant, ils le font. Les radiations sont invisibles. Le danger le devient aussi. » L’équipe de Zvizdal n’a jamais mis les pieds dans la maison de Nadia et Pétro. Les silences et les regards fatigués nous plongent dans l’intimité du couple.
Assis sur des gradins, le spectateur devient, l’espace d’un instant, l’élève dans un amphithéâtre, assistant à un cours magistral sur un conte de son époque, l’Holocène. Sous l’écran bilatéral de 6 mètres de large, trois maquettes : autant de représentations de la ferme de Nadia et Pétro en hiver, en été et en automne. « Les maquettes sont disposées dans des réceptacles en verre telle une coupelle d’observation au microscope », explique Bart sur le choix scénographique. Deux caméras miniatures tournent autour des trois modèles réduits, incorporant par des manipulations numériques le film a la maquette ou la maquette au film.
Le lieu, l’usine de traitement des eaux de Beaurade, a été choisi par le festival des Tombées de la nuit. « Zvizdal s’intègre complètement à l’espace, de par le sujet du documentaire. Lors de la conception du projet, nous avons réfléchi à une scénographie qui puisse s’intégrer partout : de l’endroit excentrique à la salle de théâtre plus classique. Le projet Zvizdal a été présenté plus de 300 fois. » Alors que la vie suit son cours à Zvizdal, l’histoire de Pétro et Nadia fait le tour du monde.
Zvizdal ou Tchernobyl si loin si proche est un portrait cinématographique de la solitude, de la survie, de la pauvreté, de l’espoir et de l’amour entre deux personnes âgées au sein d’un rayonnement incolore, inodore, mais permanent. Un émouvant documentaire se transformant peu à peu en conte légendaire sur une humanité confrontée à la vieillesse, à l’isolement, à une étrange fin de vie post-atomique. Le spectateur se laisse porter par un couple touchant et plein d’humour au sein duquel la sincérité devient une vraie force de vie.
« Les gens qui sont partis sont morts. Quand tu es né quelque part, tu dois rester vivre dans ton habitat naturel. Si je devais partir pour un autre territoire, je mourrais. » — Pétro Opanassovitch Lubenoc, mai 2011, Zvizdal.
Et aujourd’hui ? Bart répond : « On nous questionne souvent quant au quotidien de Nadia et de Pétro, aujourd’hui. À la fin du spectacle, une carte aux spectateurs est donnée afin qu’ils puissent, s’ils le souhaitent (via un mot de passe et un lien sur notre site) voir en vidéo la fin du spectacle. »
Et après ? « On voulait terminer Holocène avec un portrait de la ville de Berlin. D’où le nom du collectif. » Explique Bart Baele. Il poursuit : « The Making of Berlin, un docu-fiction, sortira l’année prochaine et sera la dernière partie pour clore Holocène. Nous allons y questionner la véridicité d’une histoire, de l’Histoire, du passé, la question de la vérité, etc., autour de la ville de Berlin. » Pour le dernier projet d’Holocène, rendez-vous en 2021.
Le site web du collectif Berlin
Photos : Frederik Buyckx