À Saffré, en Loire-Atlantique, au lieu-dit Le Moulin Roty, il y a un bâtiment noir posé dans la verdure comme un signe de ponctuation. Un volume sobre à ossature bois, 150 m² à peine, découpés en sept espaces de présentation. Rien d’intimidant, rien d’ostentatoire. Et pourtant, le Hang-Art est devenu en près de vingt ans l’un de ces lieux rares où l’on ne « passe » pas voir une expo, mais où l’on décide de venir, comme on irait au spectacle. Parce qu’ici, l’art est choisi, accompagné, expliqué. Parce qu’ici, on défend une ligne : l’art singulier, l’art à la marge, celui qui déroute avant d’émouvoir.

Le Hang-Art est né d’une idée simple de François Chauvet et de l’association ABBAC : prouver qu’un lieu d’exposition exigeant peut vivre ailleurs qu’en ville. L’ABBAC finance le bâtiment, en échange d’un droit d’usage de douze ans sans loyer. C’est une économie de proximité, patiente, qui repose sur les bénévoles, les subventions, l’obstination. On n’est pas dans la galerie commerciale ni dans le white cube institutionnel : on est dans un outil culturel fabriqué sur mesure pour un territoire de campagne.

À l’intérieur, le parcours est pensé comme une succession de respirations : cloisons en bois brut blanchi, 110 mètres linéaires d’accrochage, un petit salon de lecture avec revues et livres d’art en lien avec l’exposition. On peut s’y asseoir, prendre le temps, revenir. Le lieu n’est pas ouvert en permanence — deux expositions par an, printemps et automne, sept semaines chacune, les week-ends et jours fériés, visites accompagnées à 15h15 — mais c’est précisément ce rythme lent qui donne de la valeur à chaque rendez-vous.

Un lieu qui choisit, pas qui loue
François Chauvet le dit clairement dans ses notes : « Tous les artistes invités auront été choisis. En aucun cas les murs ne leur seront loués. » Cette phrase fait toute la différence. Le Hang-Art n’est pas un espace à remplir, c’est un espace à programmer. Cela suppose de voir des ateliers, de prendre des photos, d’écrire, d’assurer le transport, la communication, l’assurance. Cela coûte, et cela rapporte peu. Mais cela garantit une chose : la cohérence. On ne vient pas ici pour empiler des œuvres, on vient pour faire se rencontrer des univers.

L’ABBAC, qui fut d’abord la structure porteuse des spectacles de Chauvet (3 817 représentations en France), a peu à peu déplacé son centre de gravité vers les arts plastiques. Trente-six expositions plus tard, plus de 260 artistes accueillis et plus de 80 000 visiteurs ont prouvé que la démarche fonctionnait : le public n’est pas rétif à l’art singulier, à condition qu’on l’aide à regarder. Ici, les bénévoles ou le directeur artistique prennent ce temps pédagogique : quelques mots, un contexte, une clé d’entrée. Souvent, cela suffit.
Une 37e exposition polyphonique
Pour cette 37e édition, le Hang-Art hausse encore le volume : dix artistes invités auxquels s’ajoute la collection de la maison, soit près de 400 œuvres à découvrir. Ce n’est plus seulement une exposition, c’est un paysage. On y croise les propositions d’Audrey Tusseau, Emmanuelle Guérin, Gaëtan Grimaud, Juliette Monbureau, Katherine Roumanoff, Osama El Hefny, Patrick Guerchet, Pierre Brunellière, Sapiens et Véronique Dubus. Dix sensibilités contemporaines, dix manières d’habiter la forme, la couleur, la figure ou l’abstraction.

L’ensemble compose ce que le Hang-Art sait faire de mieux : montrer un art profondément humain, parfois déroutant, jamais décoratif. Un art qui ne cherche pas à séduire d’emblée, mais à susciter la parole. On peut acheter les œuvres si l’artiste le souhaite : la vente lui est reversée directement, sans taxe cachée. Là encore, le dispositif est pensé pour rester du côté des créateurs.
Un espace vivant mais paisible
Le Hang-Art n’est ouvert que quelques heures, quelques jours par semaine, mais il est loin d’être un lieu endormi. Les visites accompagnées limitées à 25 personnes se transforment en mini-conférences assises. Les écoles du secteur de Nozay sont accueillies avec des ateliers d’arts visuels. Le soutien de la communauté de communes de Nozay, du Département de Loire-Atlantique et, à l’origine, des fonds LEADER, a permis d’installer ce cycle vertueux : une programmation exigeante, un public accompagné, un ancrage local affirmé.

On ressort de Saffré avec l’impression qu’un modèle est possible : un lieu en milieu rural, une architecture simple, une vraie direction artistique, deux rendez-vous par an, et la volonté ferme de considérer les plasticiens comme on considère les compagnies de théâtre. « Je rêve qu’un jour on puisse payer pour les exposer, comme les théâtres pour les spectacles », écrit François Chauvet. Tout est là : traiter l’exposition comme un spectacle vivant, avec ses coûts, sa dignité et son public.
Qui a dit que l’art ne vivait qu’en ville ?
Le Hang-Art répond à cette vieille idée que la création contemporaine devrait rester dans les métropoles, les FRAC, les musées, les grandes galeries. Ici, au 10 Le Moulin Roty, l’art s’invite au milieu des champs mais garde ses exigences. Il n’abaisse pas son niveau pour « faire rural ». Au contraire, il fait le pari que la curiosité existe partout si on la nourrit. C’est sans doute ce qui explique la fidélité du public : on sait qu’en venant à Saffré, on verra quelque chose de choisi, de tenu, de sincère.

Informations pratiques
Hang-Art, 10 Le Moulin Roty, 44390 Saffré (Loire-Atlantique).
37e exposition : dix artistes + collection, environ 400 œuvres.
Ouvert jusqu’au 9 décembre 2025, samedis, dimanches et jours fériés de 14h30 à 18h30.
Visites accompagnées (mini-conférences) les samedis et dimanches à 15h15, réservation conseillée : hang-art@orange.fr
Visites en semaine sur rendez-vous.
