Dans ce troisième essai l’historien israélien Yuval Noah Harari prolonge le succès mondial de Sapiens et de Homo Deus et nous confronte aux grands défis contemporains que sont notamment la mondialisation ou l’Intelligence artificielle. Essentiel.
L’Homme a besoin pour vivre et donner un sens à son existence, de construire, un Récit. Trois récits ont cohabité au cours du siècle précédent : le fascisme, le communisme et le libéralisme. Tous les trois sont morts aujourd’hui et il appartient désormais à l’humanité de construire un futur alors que se présente devant elle, un vide sidéral. Dans 21 leçons pour le XXI ème siècle, l’historien Yuval Noah Harari essaie en 21 entrées d’esquisser ces défis auxquels nous sommes confrontés avant de déchiffrer les possibles qui s’offrent à nous : liberté, travail, égalité autant de valeurs auxquelles doivent répondre le nationalisme, la civilisation ou la religion.
Auteur du succès mondial Sapiens Harari décrivait dans son premier ouvrage l’évolution de l’espèce humaine à l’aune de la révolution cognitive, inexpliquée et inexplicable : un animal insignifiant allait devenir le maître de toutes les espèces vivantes. Avec Homo Deus, il essayait d’entrevoir le monde de demain dans lequel les algorithmes avaient de fortes chances de prendre le pouvoir sur Sapiens. Pour la première fois de l’Histoire, Sapiens risque de perdre sa domination. Comment alors retrouver des valeurs qui éviteront à Sapiens de décliner et même de disparaitre ? C’est le coeur de ce troisième ouvrage.
On retrouve dans cet essai les thèmes chers à l’historien et notamment le fait que chaque fois que l’homme a cherché à prédire l’avenir il s’est trompé. Logiquement, aucun scénario catastrophique ou angélique nous est donc proposé mais seulement des pistes, des possibles, le lecteur se faisant sa propre idée face aux éléments concrets, tirés de l’Histoire. Harari nous invite à reconsidérer notre pouvoir, notre violence face au constat le plus troublant : nous ne serions qu’un amalgame de réactions chimiques, une interaction de neurones dont on commence à peine à découvrir le cheminement. Vous avez peur ? Vous aimez ? Vous ressentez des sentiments qui ne sont rien d’autre que le résultat de la chimie. L’avenir réside donc partiellement dans les résultats d’étude sur le cerveau dont on perçoit de mieux en mieux le fonctionnement.
Dans ce contexte déstabilisant, quels sont alors les nouveaux « grands récits imaginaires séduisants » qui pourront guider nos actions et notre avenir ? L’historien démontre avec conviction et intelligence combien pour lui les réponses nationalistes, religieuses, populistes ne pourront constituer la base d’un nouveau récit à vocation universelle. Que peuvent apporter comme réponse aux révolutions technologiques, biologiques, des « histoires » écrites il y a plus de vingt mille ans ? La mondialisation de l’économie et de la communication empêchera le repli nationaliste ou fasciste, qui ne peut résister à un monde où les idées circulent à toute vitesse. À leur simple énoncé ces mythes politiques, économiques ou religieux ne tiennent pas une seconde, mais encore faut-il penser à les analyser. Encore faut-il changer de point de vue, se poser pour réfléchir et ne pas s’en remettre à des Fake News énormes ces milliers d’informations que nous prenons pour vraies, par défaut de temps de réflexion ou par fainéantise intellectuelle. Une fois ce travail de compréhension fait, la laïcité, l’éthique, la justice, l’éducation seront elles des valeurs qui nous serviront de guide pour notre futur improbable ? À chacune Harari apporte sa réflexion simple, de bon sens et jamais manichéenne.
Si les récits périclitent pour la première fois de l’Histoire, seule la réalité primera : la Terre est en danger comme elle ne l’a jamais été sous le choc du réchauffement climatique et confrontée à la plus grande révolution technologique et biologique jamais connue.
Un paysan de l’an 1000 savait qu’à la fin de sa vie, peu de choses auraient changé et que ses petits, arrières-petits, arrières-arrières petits-enfants vivraient très probablement dans un monde presque identique au sien même si le nom du seigneur du coin, ou du roi, changeait. Aujourd’hui, pour la première fois personne ne peut dire ce que sera le monde dans 10 ans. Harari fait donc appel à nos connaissances et à notre intelligence pour apporter des réponses à cet inconnu. Il nous invite à prendre de la distance, ce que l’on peut simplement définir comme de la « réflexion », un acte essentiel que nous ne faisons peu ou plus.
Sa réponse personnelle, l’écrivain la trouve logiquement dans la méditation, objet d’un dernier chapitre où il s’engage. Mais il ne nous impose rien. Il nous offre le pari de l’intelligence. Ce pari, qui contrairement à celui de Pascal fait appel à la raison, on a envie de le prendre avec lui en s’appropriant tous les atouts qu’il nous énumère. Il en va de la survie de Sapiens, cet « animal insignifiant » né il y a 70 000 ans. Et qui pour la première fois de son histoire dispose de tous les moyens pour se faire disparaître totalement de la Terre.
21 leçons pour le XXI ème siècle de Yuval Noah Harari. 384 pages. Éditions Albin Michel. 23 euros. Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat.