Cette période estivale 2011 aura marqué la fin d’une époque pour des millions d’aficionados de la suite de roman fantasy de J. K. Rowlings. De la parution du premier tome de Harry Potter en 1997 jusqu’aujourd’hui, le monde entier a été emporté par un engouement qui a entraîné aussi bien des adolescents que des adultes, en particulier âgés de 14 à 28 ans. Rowling – qui se revendique chrétienne pratiquante – fait bien figure de magicienne, tout au moins, a-t-elle réalisé là un Grand Oeuvre.
Cet opus n’a ni débuté ni ne s’est déployé sans susciter nombre de controverses
Aux Etats-Unis, des exemplaires détenus par les bibliothèques sont régulièrement détruits par des fondamentalistes qui y voient une apologie satanique de la sorcellerie, des pro et des anti s’opposent dans toutes les religions, en particulier au sein du christianisme. Si aucune interdiction officielle n’a eu heureusement lieu, c’est loin d’être la seule dimension magique, spirituelle ou religieuse du magicien à la cicatrice qui fait débat. De fait, plusieurs sagas de fantasy où intervient la magie ont été éditées auparavant ou en même temps et n’ont pas suscité de telles oppositions. Il en va ainsi de Le Monde de Narnia de C. S. Lewis (aux forts accents messianiques) ou d’À la croisée des mondes de Philip Pullman (une trilogie à la teinte autrement moins chrétienne). Alors pourquoi une telle réaction ? Tout simplement, parce que l’oeuvre de Rowling a su charmer, enchanter, magnétiser, envouter, ensorceler, autrement dit gagner le coeur et l’esprit de millions d’adolescents – ce que les institutions religieuses peinent à faire. On peut donner trois ingrédients de cette opération magique et, pour le coup, bien réelle.
D’une part, durant ces 15 années écoulées, les tomes de la saga ont été publiés en même temps que grandissait dans notre monde une angoisse diffuse devant l’avenir. Alors que le monde réel conjugue chaque jour avec une intelligence déroutante bonnes et mauvaises nouvelles dans un idéal de stabilité chaque semaine ébranlé, le monde d’Harry Potter fournit un cadre stable et cohérent. Un cadre aussi bien psychologique, émotionnel, intellectuel que religieux où s’opposent le Bien et le Mal d’une manière binaire.
C’est dans ce cadre, d’autre part, que se déroulent les aventures fort bien narrées de jeunes magiciens sympathiques, bien élevés, intelligents et pleinement humains. Comme des millions d’autres enfants, les apprentis magiciens vont à l’école où ils étudient pour acquérir des pouvoirs et devenir plus forts et meilleurs. Ce qui est très réconfortant et suscite la confiance.
En outre, cela facilite un lien d’identification avec les trois adolescents magiciens qui forment un trio fondé sur l’amitié et l’union. Harry Potter et ses compagnons de fortune et d’infortunes se donnent autant la main entre eux qu’à des millions d’enfants et d’adolescents pour qui ils constituent un exemple.
Dès lors, il est naturel que les adolescents se retrouvent dans l’univers créé par Rowlings. D’autant plus quand le monde des adultes qui les entourent présente des repères flous, voire brouillés. Cette lecture leur procure un mode de formation, voire une éducation : l’apprentissage des relations aux autres, de l’amour, de la mort, de la souffrance, des étapes de l’existence, de la morale. En ce sens, la saga joue un rôle de lieu intermédiaire d’adaptation entre la vie intérieure du lecteur et le monde collectif. Un intermédiaire socialisateur, certes, mais aussi spirituel.
La question peut être posée ainsi
Qu’elle soit combinée ou non avec la transmission de références religieuses traditionnelles (chrétiennes, juives, musulmanes, bouddhistes, etc.), quelle est l’influence spirituelle exercée par Harry Potter dans le développement personnel du lecteur et comment s’apprécie-t-elle ? Est-elle une aide, une direction ou un supplément d’âme, une spiritualité à part entière ? Son influence est-elle bonne ou mauvaise ?
Répondre à cette question demanderait une analyse approfondie ; on retiendra par défaut trois points :
Au regard d’une certaine désaffection des nouvelles générations à l’égard des expressions religieuses traditionnelles, le monde, le cadre et le discours éthique déployés par Harry Potter et ses compagnons jouent un rôle non de remplacement mais d’auxiliaire. De fait, contrairement à certaines formes émergentes de religiosité, on ne relève aucun élément à charge contre les religions révélées, notamment le christianisme.
Une fois le traitement spécifique (le contexte magique) de la saga mis de côté, les questions fondamentales évoquées, les choix opérés et les valeurs prônées – l’amour, l’amitié, le partage, la solidarité, le refus des stigmatisations, la promotion de la vie contre la mort, la gestion de la perte et des étapes existentielles, la puissance du sacrifice, la résurrection – ne semblent pas entrer en contradiction avec le discours de ces dernières. Bien au contraire.
Harry Potter installe le lecteur dans un monde fictif qui a en commun avec le monde réel de reposer sur une opposition fondatrice entre le Bien et le Mal. Mais le premier est bien plus nettement régi par cette opposition que ne l’est le second. En effet, le monde réel brille en pratique par le brouillage de ces deux notions régulatrices. Autrement dit, Bien et Mal, valeur du sacrifice de soi pour la vie du monde et autres dimensions fondamentales sont plus présentes, plus normatives et plus lisibles dans la saga qu’elles ne sont dans notre société.
Cela conduit à deux remarques
D’une part, les adolescents ont besoin d’un monde bien plus lisible qu’il ne l’est en ce moment. De fait, dans un monde lisible, il est bien plus aisé de faire face à des épisodes complexes, aux accidents de la vie, quelle que soit leur injustice ou leur cruauté. Dans la fosse aux lions gentils dans laquelle on pousse aujourd’hui les enfants et ados, c’est le sens des relations humaines qu’ils cherchent de tous côtés.
D’autre part, la littérature de Rowlings, sa puissance d’évocation, sa capacité participative (le vecteur de personnification) sont telles que nombre de lecteurs vibrent à l’unisson des aventures du trio adolescent bien plus que n’arrivent à le faire les Églises chrétiennes avec la vie, la passion et le message tout à la fois exemplaire et révolutionnaire, humain et divin, de Jésus-Christ. Ce qui renvoie en contrepoint les institutions chrétiennes au choix des modes de communication employés pour transmettre.
Ces modes varient fortement selon les Églises et les pays. Ainsi, un télé-évangéliste américain, un travailleur social français ou un copte orthodoxe ne lisent pas ni ne racontent ni n’illustrent les Évangiles d’une même manière. Reste que les pays historiquement chrétiens font tous face à un recul de la pratique (il est vrai plus ou moins marqué). Ne serait-ce pas là la conséquence d’une difficulté à exprimer la Bonne nouvelle de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ d’une manière qui gagne les esprits et les coeurs ? Autrement dit, les institutions chrétiennes ne devraient-elles pas réfléchir à la capacité d’enchanter et d’émerveiller l’expression de leur message afin que le lien d’identification et d’imitation entre les jeunes générations, le Christ et la possibilité de devenir des Saints ressuscite ?
Au demeurant, que va devenir cette génération potterienne ?
Va-t-elle rester fermée sur soi, va-t-elle rayonner (mais de quelle manière), va-t-elle contribuer à réfléchir aux transformations en profondeur que connait le monde, notamment chrétien ? Qui sait si les valeurs, en grande partie chrétiennes, véhiculées par la saga ne vont pas au final encourager plusieurs lecteurs devenus grands à approfondir leurs liens au christianisme.
Nicolas Roberti