Mises en scène dans des poses fortes avec des accessoires de théâtre, dix-huit affiches de femmes fleurissent sur les murs de Rennes, illustrant la notion de « courage ». Récit d’une aventure artistique envers et contre la covid, créant des liens forts et de la beauté dans l’espace public. À voir actuellement dans la rue, affichées au Quadri au Blosne.
« C’est quoi, pour vous, le courage ? »
Elles sont 18 femmes de deux quartiers de Rennes, le Blosne et le centre-ville, à avoir répondu « présente » au projet orchestré par l’Agence Sensible sur le thème du courage. 18 femmes comme vous et moi, d’âges et de milieux différents, qui ont osé réfléchir aux actes courageux de leur existence.
La jeune « Agence Sensible » est composée de Marion Poupineau et Emmanuel Pellequer, deux artistes complices qui œuvrent en allant « nicher » dans tel ou tel quartier, ville ou village, dans le but de faire émerger des œuvres participatives créées par des habitant.es. À Rennes, c’est entre le Blosne et le centre-ville que le projet Haut les Cœurs est né. Il a été réalisé en partenariat avec le centre social Carrefour 18 et le collectif d’animation du centre-ville de Rennes, et a reçu le soutien des dispositifs Quartiers Solidaires et Les Rennais prennent l’Art.
18 participantes à la manœuvre à chaque étape
À chaque étape du projet, les participantes sont autrices de l’œuvre : elles ont d’abord réfléchi sur la notion de courage et partagé, avec émotion, ce qui a été courageux dans leurs vies. Un livret consigne aujourd’hui avec pudeur ces récits de courage. Ce sont encore les participantes, accompagnées par les deux « agents sensibles », qui ont imaginé comment se mettre en scène : choix des attitudes et accessoires. Elles ont posé dans une posture « héroïque » sous l’objectif d’Ingrid Borelli. L’artiste, photographe et plasticienne, a réalisé de puissants portraits noir et blanc détourés sur un fond blanc. Une définition du courage, issue du témoignage de chacune, est apposée sous chaque photo.
Une exposition ouverte à tous.tes, envers et contre tout
Aujourd’hui, 18 portraits de femmes puissantes et ordinaires ornent donc les murs de la ville. Ces affiches fleurissent à divers endroits du Blosne et du centre-ville : elles sont éphémères. Elles sont enlevées par l’Agence Sensible dès qu’elles commencent à se détériorer et refleurissent ailleurs ; il faut les guetter. Pour le moment, on peut se dépêcher de les admirer au Quadri, 47 avenue des Pays-Bas, métro Triangle (et en profiter pour faire un tour à la géniale et récente librairie coopérative L’établi des mots). C’est de l’art de rue à ciel ouvert, adapté à ces temps de fermetures. La série entière de portraits est placardée à l’extérieur du bâtiment. Une aubaine pour les yeux et le cœur : une exposition gratuite d’art contemporain et participatif, une victoire d’artistes volontaires qui ne se laissent pas abattre par les fameux temps qui courent. Lorsque les expositions en lien fermé seront à nouveau autorisées, elles seront visibles au centre social Carrefour 18.
Des super-héroïnes de la vraie vie
Ce sont des femmes réelles que l’on voit, sans artifice ni retouche, qui s’amusent d’accessoires plus ou moins exotiques, puissants, ou super-héroïques. Ces accessoires soulignent leur proximité avec nous et ne les déguisent pas. Elles ne se transforment pas en wonderwoman, en mousquetaire ou en samouraï, avec leurs capes ou leurs épées. C’est votre voisine, qui a réalisé que sa vie était peut-être bien celle d’une wonderwoman, et qui s’est fièrement, et non sans clin d’œil, mise une cape pour vous le dire et se le dire.
Toutes les nuances du courage
À l’origine, elles avaient toutes du mal à se penser courageuses. « Au départ, les femmes disaient : ah, mais moi, je ne suis pas courageuse ! », racontent Marion Poupineau et Emmanuel Pellequer. Et pourtant, lorsque la parole se libère lors des ateliers qu’organisent les deux complices « sensibles », elles prennent conscience du courage dont il leur faut faire preuve dans la vie, et des obstacles surmontés.
L’une révèle avoir adopté deux enfants migrants, sans repères, rencontrés dans le cadre de ses activités associatives, qui à présent s’épanouissent dans les études ou la vie professionnelle. L’autre se souvient avoir surmonté une dure séparation avec un mari violent. Une troisième a sauvé, enfant, sa sœur dont le pied était coincé dans un rail de chemin de fer, in extremis, juste avant le passage d’un train. Pourtant, sa vie actuelle d’aide dans le cadre d’une association lui semble peut-être receler davantage de courage que cet acte ancien, accompli dans un instant de grande bravoure. Une autre se bat pour que sa sœur trisomique bénéficie de soins appropriés. Parfois, raconte encore une autre, le courage c’est juste de laisser partir une personne aimée sans la retenir. Certaines ont survécu à de lourdes maladies, des séparations : toutes avaient en définitive de quoi se dire ô combien courageuses. L’art de l’Agence Sensible est celui d’une conscientisation du courage ordinaire (et toujours extraordinaire), joyeusement célébré dans le partage. C’est un mode de création jubilatoire dont on a hâte de voir les prochaines réalisations, sur les autres thèmes et dans les nouveaux lieux où elle ira « nicher ».
Donner de la visibilité aux femmes dans les quartiers
Le projet Haut les Coeurs avait pour but de donner de la visibilité à des femmes dans l’espace public, notamment dans des quartiers où elles ressentent une pression qui les renvoie à l’espace privé. Là, il s’agit carrément de s’afficher dans la rue. Les séances de collage, avec les encolleuses qui collent leurs propres portraits et ceux de leurs camarades, sont symboliques et hautes en couleur.
« Une ambiance de dingue »
Chacune a participé aux séances de collage : plain-pied, c’est le cas de le dire, car le collage des douze feuilles A3 qui composent chaque portrait grandeur nature fut, aux dires de toutes, le point d’orgue de l’expérience : « une ambiance de dingue ; joyeuse, drôle et très concentrée ». C’est un acte que l’Agence Sensible conçoit comme « politique » puisqu’il s’agit « d’afficher portraits de femmes dans des postures puissantes, dans l’espace public ». Et c’est comme acte joyeux et émancipateur que les colleuses ont vécu ce moment d’oser coller leurs bobines sur les murs de leurs quartiers.
S’afficher en public
Toutes ont accepté de « s’afficher » dans leurs quartiers, après avoir été consultées sans insistance par l’Agence Sensible, qui place au-dessus de tout l’accord volontaire de chacune à chaque étape du processus. Même la mamie qui se disait au départ « trop connue dans le quartier » pour s’y afficher de la sorte a changé d’avis. Elle entraîne à présent famille et amis sur les lieux où l’on peut voir la série de portraits. Une autre, initialement intimidée, se réjouit maintenant quand elle croise au marché des gens qui lui disent l’avoir reconnue. Lors des séances de collage, beaucoup de passants interpellent les colleuses et les interrogent sur ce qu’elles font. Ce sont elles qui répondent, racontent le projet, les étapes, son sens ; Emmanuel Pellequer et Marion Poupineau restent en retrait. Le travail a abouti.