Hazara Blues ou l’itinéraire migratoire de Reza Sahibdad

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hazara blues bd

Reza Sahibdad, afghan, persécuté chez lui puis en Iran, raconte son exil en France, illustré par les dessins remarquables de Yann Damezin. Un récit révélateur de racisme et d’ostracisme sans frontières.

L’objet livre dit beaucoup. D’abord, sa reliure soignée, est l’annonce d’un ouvrage techniquement et graphiquement magnifique. Si on éclaire différemment sa couverture, apparaissent alors des dessins orientaux qui rappellent les contes des mille et une nuits. Ensuite le titre, Hazara, le nom de cette ethnie afghane méconnue et persécutée depuis le XIXe siècle à l’intérieur même de son pays. Un nom enfin, celui de Reza Sahibda, réalisateur né en 1980, qui raconte ici son histoire au dessinateur Yann Damezin et à la fonctionnaire de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. Lorsque le récit commence, le 5 mars 2010, il joue dans les locaux de l’administration française une partie de sa vie. « On est comme Shéhérazade, on doit raconter notre histoire si on veut s’en sortir…Les histoires, parfois, c’est une question de vie et de mort ».

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Sa vie, Reza la livre avec pudeur et retenue, il dit son existence et celle de sa communauté pourchassée chez elle pour se réfugier en Iran et y connaitre un sort guère plus réjouissant que dans son pays d’origine. La mort, il la côtoie ainsi depuis son enfance lorsque le régime des mollahs ostracise sa communauté afghane et placarde sur les murs des affiches au slogan clair: « Cette maison est belle, mais ce n’est pas la vôtre ».

Se mettant physiquement en scène dans ce récit à la première personne, qui habilement mêle le présent au passé de l’Afghanistan et à son histoire tourmentée, Reza raconte un début d’existence placé sous le signe de l’humiliation, quand les parents, interdits de travail, font vivre leur famille de petits boulots dissimulés et mal payés. Leur vie est nocturne, le jour est réservé à l’effacement. Son jeune frère qui fait de la politique, en possédant notamment des ouvrages interdits, sera emprisonné pendant mille quatorze jours. Reza ne s’attarde pas sur l’engagement de Younès, tout n’est probablement pas dit, ni montré par souci de protection. Il ne fait pas bon d’être repéré aujourd’hui encore par les hommes de main d’un régime religieux totalitaire qui peut à tout moment faire irruption chez vous à la recherche de textes blasphématoires.

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C’est une jeunesse hazarienne, mais aussi iranienne qui est décrite, faite de frustration, d’interdits, d’incompréhension, murée dans un silence obligatoire. Le trait exceptionnel de Yann Damezin évoque bien entendu celui de Marjane Satrapi et de son Persepolis. Epuré, stylisé à l’extrême, il suggère les miniatures persanes, utilisant les métaphores graphiques pour dire la souffrance et parfois le caractère irréel de certaines situations. Les personnages s’envolent comme sortant d’une fiole magique. Des symboles naturels envahissent les fonds d’images comme dans des rêves. A la différence de la dessinatrice franco-iranienne, Damezin se sert parfois de la couleur pour différencier les époques qui s’entremêlent mais toujours avec clarté. Peu d’espoir dans ce portrait d’une communauté exilée, jusqu’à ce que par hasard Reza découvre le septième art. Se cultivant grâce à des VHS circulant sous le manteau (elles sont cousues dans des poches de vêtements !), alors que les magnétoscopes sont interdits, il va peu à peu réaliser des courts métrages et se faire remarquer. Une nouvelle vie s’ouvre devant lui avec pour objectif sa naturalisation française.

Cet imposant ouvrage de 240 pages, véritable récit documentaire, se lit d’une traite, éclairant le sort d’une ethnie oubliée dans l’histoire du monde, victime comme tant d’autres d’un racisme viscéral et de visions manichéennes de la vie. Il est un appel indirect à la tolérance et montre une fois de plus que derrière des populations cataloguées, des femmes et des hommes essaient tant bien que mal de vivre au milieu de la haine et de l’hostilité. Hazara Blues en prônant le relativisme historique (la figure idéalisée de Massoud est ici remise en cause), et en essayant d’adopter les multiples points de vue sur une Histoire afghane complexe est malgré tout un vecteur d’optimisme.

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Hazara Blues de Reza Sahibdad (scénario) et Yann Damezin (dessin). Editions Sarbacane. 240 pages. 28€. Parution : 20 août 2025.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.