L’Être portugais
Julie de Hauranne, jeune actrice française d’origine lusitanienne, parle le portugais sans jamais avoir mis un pied dans ce pays. Lorsqu’elle arrive à Lisbonne, où elle doit tourner dans un film inspiré des Lettres Portugaises de Guilleragues, elle se trouve vite fascinée par une religieuse qui vient prier toutes les nuits dans la chapelle de “Nossa Senhora do monte” sur la colline de Graça. Au cours de son séjour la jeune femme fait toute une série de rencontres, qui, à l’image de son existence antérieure, semblent éphémères et sans suite, mais après une nuit où elle parle enfin avec la religieuse, elle entrevoit le sens de sa vie et de son destin… La magnifique intuition du réalisateur Eugene Green est d’avoir compris la possibilité mystique de Lisbonne ! Ce film est un bonheur si on accepte de s’y couler. On pourra alors en sortir à la fois intériorisé et émerveillé.
Visite du Lisboa des monts. L’église, la mesa senhora del monte, qui sera le lieu final de la Révélation, où Julie de Hauranne, la jeune actrice française venue tourner Les Lettres de la religieuse portugaise, rencontre une sœur qui est comme sa sœur. Des chants de fado, parfois sur des paroles de Pessoa, d’où émane la tristesse/espérance de la saudade, avec des paroles comme celles-là : « Etre ce que je ne suis pas ? » Tout n’est que mélancolie mais d’une mélancolie aérée, pas trop pesante, car les lieux privilégiés sont les belvédères!
En fait, Julie de Hauranne, à travers la découverte de Lisbonne, rencontre la solitude, la désespérance, l’abandon, la perte, l’absence, la séparation… Elle vient « sauver » les hommes qu’elles rencontrent, le gamin des rues orphelin Vasco qui ne va pas à l’école et qu’elle adoptera. Le comte de Viseu, fis d’un dignitaire de la dictature frappé de déchéance, qui voulait se suicider. Martin, son partenaire de tournage qui s’ennuie dans son couple et à qui elle va se donner comme en cadeau… Son baiser guérit. Sa quête est celle du bonheur. Alors que passe l’idée que Lisbonne et le Portugal tout entier est un pays cloîtré, écrasé par son fatum, relégué dans ses marges géographiques, largué par ses grands moments d’Histoire révolus.
Oui, on peut décrocher de ce film, qui dure deux heures, à l’allure parfois de pièce montée, de guet-apens insignifiant. On surprend ici un tournage trop amateur, là un formalisme quasi fétichiste, ou encore quelques dialogues anodins…
Mais comprendre que ces contre-acteurs hiératiques à la diction si formaliste et distanciée, rend le langage comme incréé… Comprendre que ces images très lentes permettent l’appropriation des scènes et des lieux souvent déserts. Comprendre que cet éloge de la sobriété et de l’ immobilité, « contraire à la modernité », peut creuser en nous un « vide » salutaire, propice à l’Attente.
Une certaine nuit le film passe sur un autre mode. Commencée par un chant de fado à l’issue duquel Julie pleure, poursuivie par une sortie en boîte (ah l’admirable façon dont les jeunes femmes lisboètes se déhanchent, sans aucune frénésie, tout en douces ondulations. Que le désir portugais reste toujours celui-là !). Puis c’est la rencontre avec un beau jeune homme qu’elle désigne comme la réincarnation de Don Sebastiao, la figure légendaire du Portugal à l’origine du grand mythe du retour du Roi caché qui sauvera le pays… Et sous le croissant de lune, et au son des cloches, Julie s’en va rejoindre l’église. Elle s’évanouit, ranimée par Irma Joana, la jeune sœur qui passe ses nuits à prier, et là surgit un dialogue de toute beauté et d’une rare intensité au cinéma. « On disparaît à force d’aimer… … aimer au point d’enfanter… trouver sa vie c’est enfanter… nous portons tous une nouvelle vie… Nous sommes quelqu’un d’autre. » Les mots muets sont à l’œuvre… Éternelle jeunesse du vrai sentiment mystique !
Hervé Colombet
Un film d’Eugène Green, avec Leonor Baldaque, Beatriz Batarda
Titre original : A RELIGIOSE PORTUGUESA (Portugal)
Genre : Drame – Duree : 2H07 mn
Distributeur : Ocean films – Editeur DVD : Bodega films