Hôtels sans enfant : l’interventionnisme à la française s’attaque au tourisme adult only

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adult only hotel

Alors que les établissements adult only séduisent une clientèle avide de calme et de repos, le gouvernement français franchit un nouveau stade dans l’interventionnisme en ouvrant le débat : ces offres sont-elles compatibles avec les principes d’inclusion et de non-discrimination ? Voilà le dossier juridique et sociétal d’une de ces controverses typiquement de chez nous. Car en France, nul sujet, même balnéaire et touristique, n’échappe au besoin irrépressible de l’administration et des élus de « mettre de la norme là où il y avait du libre choix », comme si chaque loisir individuel risquait de devenir une faille dans l’édifice républicain

L’offensive du gouvernement contre les hôtels « no kids »

Tout est parti d’une déclaration de Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l’Enfance, à la fin du mois de mai 2025. Face à la montée des offres touristiques « adult only », elle a publiquement dénoncé une pratique qu’elle juge « brutale » et contraire à « une société inclusive ». Selon elle, ces établissements participeraient à une fragmentation sociale dangereuse, où le confort individuel primerait sur le vivre-ensemble républicain.

Le gouvernement redoute une « balkanisation douce » où hôtels sans enfants, restaurants sans bruit, clubs privés et espaces premium finiraient par constituer autant de bulles sociales hermétiques. Pour autant, à l’inverse, une régulation excessive pourrait remettre en cause des pans entiers d’offres commerciales aujourd’hui parfaitement acceptées (tourisme LGBT, retraites bien-être, séjours spirituels…).

Au-delà de la dénonciation politique, la haute-commissaire a saisi ses services juridiques pour explorer la possibilité d’interdire ces offres, en invoquant notamment l’article 225-1 du Code pénal, qui prohibe les discriminations fondées sur l’âge dans l’accès aux biens et services. Pour l’heure, le gouvernement n’a encore tranché sur aucune mesure concrète. Plusieurs pistes sont discutées :

  • Interdiction des refus explicites de réservation fondés sur la présence d’enfants.
  • Encadrement des communications commerciales « adult only ».
  • Régulation sectorielle pour certains types d’hébergements (thalassothérapie, retraites bien-être…).

Pourquoi les professionnels du tourisme défendent ces offres

Les acteurs du tourisme sont rapidement montés au créneau, éberlués par cette attaque contre un produit commercial de loisir. Ces offres visent une clientèle adulte qui recherchent le calme, la détente, le bien-être, le romantisme. Ils mettent en avant :

  • La diversité de l’offre dans un marché mondialisé ultra-concurrentiel ;
  • La satisfaction d’une demande forte, portée aussi bien par des couples sans enfant que par des parents désireux de s’offrir une parenthèse sans leurs propres enfants ;
  • La liberté d’entreprendre et de concevoir des produits touristiques différenciés.

Nombre d’entre eux soulignent d’ailleurs que l’immense majorité des établissements reste parfaitement accessible aux familles, et que ces niches ne constituent qu’une part marginale du marché global. Que tel ou tel couple peut se réserver un week-end en amoureux dans un hôtel « adult only » avant d’aller passer une semaine de vacances avec leurs enfants dans un complexe balnéaire. Et, d’aucuns d’ajouter sous cape : « mais que ces élus se mêlent un peu de leurs oignons, et il y a franchement plus urgent et plus justifié comme combat… »

Une société sous segmentation permanente : les autres offres ciblées

Offres réservées aux femmes

  • Clubs privés pour femmes (Franc-maçonnerie féminine)
    Salles de sport « women only » (CurvesLady Moving…)
  • Taxis et VTC féminins (Women DriveFemme au volant)
  • Croisières et voyages pour femmes seules (Les AventurièresWomen on Waves)
  • Afterworks et clubs féminins (The SororityThe Ladies Room)

Offres réservées aux hommes

  • Clubs privés de gentlemen (ex. Jockey Club de Paris, Franc-maçonnerie)
  • Barbiers haut-de-gamme (La Barbière de ParisBig Moustache)
  • Stages de développement masculin (Men’s RetreatStage alpha)

Offres LGBT+

  • Croisières et séjours LGBT (Atlantis EventsOlivia Travel)
  • Hôtels gay-friendly (Axel Hotels)
  • Réseaux sociaux et applis (GrindrHerTaimi)

Offres alimentaires et modes de vie

  • Hôtels et restaurants vegan (Vegan LodgeLa Table Verte)
  • Séjours détox et ayurvédiques (Jeûne & Bien-ÊtreVeda Ayurveda Retreat)

Offres liées à l’âge

  • Résidences seniors (DomitysLes Senioriales)
  • Séjours linguistiques « enfants », « ados », « 18-25 ans » (EFISEP Travel)

Offres socioprofessionnelles

  • Mutuelles professionnelles (enseignants, médecins…)
  • Banques spécialisées (fonctionnaires, militaires…)

Autres segmentations identitaires

  • Villages naturistes (Cap d’Agde)
  • Retraites spirituelles réservées (monastères, kibboutz, ramadan, etc.)

etc.

Le cadre juridique français : segmentation licite vs discrimination interdite

Pour comprendre les tensions soulevées par les offres adult only, il faut revenir aux principes juridiques qui encadrent la segmentation commerciale en France.

Tableau de synthèse : segmentation licite et discrimination interdite

SituationLICITEILLICITE
Public viséOffres ciblées (femmes, seniors, LGBT, vegan…)Refus d’accès fondé sur un critère prohibé
JustificationAdaptation de l’offre, sécurité, confort, demande du publicExclusion arbitraire sans fondement légitime
Enfants / famillesActivités adaptées par tranches d’âge (baby club, séjours seniors)Refus global d’accueil aux familles avec enfants
Sécurité / santéRestrictions nécessaires (zones dangereuses, thermes)Prétexte sécuritaire détourné pour exclure
Clubs privés / associatifsClubs sous liberté d’association encadréeDiscrimination déguisée dans une activité commerciale

Source juridique principale : article 225-1 du Code pénal français.

En résumé :

  • Le droit français autorise certaines offres ciblées, à condition qu’elles répondent à une logique commerciale, sécuritaire ou sanitaire objective. Le refus catégorique d’enfants dans un hôtel pourrait relever d’une discrimination indirecte fondée sur l’âge. Mais l’enfant n’étant pas expressément protégé comme catégorie autonome, le débat reste juridiquement ouvert.

Interventionnisme et liberté de consommer : l’Etat peut-il (et doit-il) régenter tous nos loisirs (et toute notre vie) ?

Au fond, cette controverse sur les hôtels sans enfant rouvre un débat plus vaste et plus ancien, autrement dit jusqu’où l’État français peut-il intervenir dans la sphère privée du loisir et de la consommation ? Depuis plusieurs décennies, l’expansion de la régulation publique n’épargne plus les champs naguère considérés comme relevant des choix individuels : alimentation, transport, santé, moralité des contenus culturels, aujourd’hui tourisme et hébergement.

Derrière la défense affichée de l’inclusion, certains y voient un glissement progressif vers une normalisation étatique des modes de vie, encore loin mais sur le chemin de ce qui a cours en Chine communiste. En encadrant les offres commerciales au nom de la cohésion sociale, l’État pose la question de sa légitimité à définir ce qui est un « bon loisir » ou un « mauvais loisir ». Peut-on réellement fonder la politique publique sur l’idée qu’il existerait une obligation civique à supporter les enfants des autres durant ses vacances ? Ou, à l’inverse, faut-il protéger une diversité d’offres qui permet à chacun de composer librement son propre parcours de loisirs, quitte à tolérer certaines formes d’entre-soi volontaire ?

Sous couvert de défendre l’inclusion, l’État pourrait à terme s’arroger un droit moral de régenter des espaces de détente et de loisir jusque-là perçus comme relevant exclusivement des préférences subjectives des consommateurs. La question n’est plus seulement juridique, elle devient profondément philosophique, éthique et politique.

Vers quelle régulation possible ?

Au-delà de la question juridique stricte, ce débat révèle un affrontement non seulement de lectures sociales idéologiques, mais d’une manière typiquement à la français de les traiter : 1. Vers une société hyper-segmentée et individualisée où chacun consomme selon ses préférences ? 2. Vers un marché régulé qui protège le vivre-ensemble et empêche la fragmentation silencieuse des espaces sociaux ? Alors qu’il est évident que la réalité échappe à la première comme à la seconde réduction.

L’affaire des hôtels sans enfants cristallise une tension récurrente du modèle français : entre l’État-protecteur régulateur et la liberté individuelle de consommation. Encore une fois, la France démontre sa capacité à transformer chaque sujet de niche en un terrain de haute politique. Quitte à stresser toujours plus les Français.

*

L’interventionnisme français au regard des modèles étrangers : une singularité

Si la France débat aujourd’hui de la possible interdiction des hôtels adult only, c’est aussi parce qu’elle hérite d’une longue tradition d’État régulateur qui n’est pas partagée par les autres démocraties occidentales.

Allemagne : un interventionnisme tempéré par la liberté contractuelle

  • Le droit interdit la discrimination mais tolère les offres ciblées si elles sont objectivement justifiées.
  • Les hôtels adult only sont courants et ne soulèvent aucune polémique majeure.

Royaume-Uni : pragmatisme libéral

  • Les offres segmentées sont largement tolérées sous l’empire de l’Equality Act 2010.
  • Les adult only resorts prolifèrent sans aucune intervention politique.

Italie : segmentation douce et tolérance commerciale

  • Les hôtels réservés aux adultes prospèrent sur les côtes et îles italiennes.
  • L’État italien n’intervient pas dans la sphère des loisirs privés.

Danemark : équilibre contractualiste et inclusion modérée

  • Les offres ciblées sont acceptées tant qu’elles ne sont pas oppressives.
  • L’État fait confiance aux acteurs économiques pour s’autoréguler.

États-Unis : segmentation maximale et marché-roi

  • La segmentation commerciale est quasiment sans limites.
  • Les offres réservées (adultes, LGBT, seniors, religieux) sont omniprésentes.

Bref, la France apparaît comme le seul pays occidentaux qui envisage une régulation étatique directe des loisirs privés « adult only » au nom de l’inclusion sociale.

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !